Atlal : donner sens aux traces en Algérie

Long métrage documentaire de Djamel Kerkar (Algérie / France, 2016), en sortie dans les salles françaises le 7  mars 2018. Vu par Michel AMARGER (Afrimages / Médias France)

Les auteurs de documentaires algériens cherchent à se démarquer de la simple observation du réel pour suggérer des réflexions sur l’état du pays. Après les films de Lamine Ammar-Khodja (Bla Cinima, 2014), Hassen Ferhani (Dans ma tête un rond-point, 2015), attachés à une recherche d’écriture, le premier long-métrage de Djamel Kerkar, Atlal, 2016, s’inscrit dans ce sillage. Mais ici, le réalisateur s’essaie à un documentaire plus contemplatif, peut-être plus ardu.

Djamel Kerkar échappe au formatage des écoles de cinéma occidentales, en étudiant à l’ESAV de Marrakech avant de se lancer avec Atlal dont il assure une bonne partie du cadre, de la prise de son et du montage. Son engagement est relayé par une coproduction française qui lui permet de trouver un distributeur en salles.

Copyright Capricci Films

Le film s’ouvre sur un long prologue, tiré d’une cassette vidéo altérée, qui montre les maisons détruites et saccagées d’un village dans les années 90, pendant le Décennie noire. Puis dans une première partie où les sons de la nature prédominent, s‘égrènent des vues du village aujourd’hui où nombre de bâtisses sont encore démolies alors que d’autres semblent en reconstruction inachevée. Quelques paysans, parcimonieusement sélectionnés, évoquent la colonisation, les dégâts de la Décennie noire. Puis le film se concentre sur de jeunes villageois qui se retrouvent la nuit autour d’un feu, pour capter leurs impressions, leurs conversations, au son du rap qu’ils écoutent.

Ce que le film ne précise pas clairement, c’est que le village, Oulled Allal, est situé à une vingtaine kilomètres d’Alger, à mi-chemin de la ligne de front du maquis, tenu par les intégristes dans les années 90. Ce qui l’a fait déserter à partir de 1996 où les combats faisaient rage entre l’armée et les terroristes qui tenaient le maquis. Les ruines investies par Atlal – qui signifie « ruines » en Arabe – sont les témoins de cette époque que le film n’aborde jamais directement mais laisse entrevoir entre les propos de quelques habitants, revenus pour faire revivre Oulled Allal.

 

Djamel Kerkar semble plus occupé à regarder qu’à expliquer ce qui s’est passé. Les images anciennes du prologue se déroulent longtemps sans que leur origine soit dévoilée. « Un architecte était venu filmer après la destruction du village. J’ai pu récupérer la bande digitalisée chez un ancien habitant qui refusait de rentrer à Oulled Allal », confie le cinéaste, en marge de ces images dégradées qui « racontent tout sans aucune parole. » Mais quand le film démarre après le générique, Djamel Kerkal paraît encore retenir les informations en parcourant le village. « Dans cette première partie silencieuse, face aux ruines, le recueillement s’impose. Il y a quelque chose de l’ordre du deuil », estime t’il.

Le cinéaste semble ensuite s’orienter vers une autre approche en s’attardant auprès des jeunes. « En arpentant le territoire, le film a trouvé son souffle : j’ai fait la rencontre d’êtres, de choses, d’arbres… qui ont déterminé la construction. Le film s’est écrit au jour le jour », révèle Djamel Kerkar. Ainsi après avoir assemblé les images de la destruction provoquée par les terroristes, tout en s’imprégnant de la musicalité des vues d’extérieur, ouvertes aux sons de la nature, il recueille de petites histoires qu’il dispose entre les silences jusqu’à ce que les paroles des jeunes occupent tout l’écran. Les chansons qu’ils écoutent et qu’ils chantent, servent à dire le mal-être d’aujourd’hui. Le rap qui circule depuis 1995, et que les protagonistes s‘approprient, exprime leur révolte et permet d’énoncer ce qu’ils ne se décident pas toujours à faire.

Copyright Capricci Films

Atlal laisse ainsi entrevoir le fossé entre les anciens, occupés à cultiver et reconstruire, et les jeunes sans perspectives. « La transmission ne s’est pas réalisée entre ces générations », relève le cinéaste. « Les histoires de chacun sont restées lettre morte. » Son propos peut alors se lire comme une réaction pour faire surgir la mémoire, les questions non résolues. Mais la démarche entérine aussi la complaisance pour souligner la soumission au sort d’un pays à l’avenir douteux. D’autres réalisateurs ont su pénétrer d’un œil plus critique, les réunions où la jeunesse livre volontiers son image, fière de s’affirmer à l’écran.

Lesté par un montage un peu relâché, des raccord souvent abrupts, Atlal capte aussi de belles scènes d’extérieurs où la nature algérienne et les murs lézardés, replâtrés, érodés, évoquent un pays qui tente de résister à la décomposition. Car au-delà de ses aspérités, le documentaire de Djamel Kerkar est une incursion dans un espace où s’est jouée avec violence, une page noire de l’histoire algérienne. « Le film se contente de rendre compte de la complexité d’un petit territoire », commente le cinéaste, sensible aux indices du temps qui le dépasse.

 

Author: Michel Amarger

Share This Post On

Submit a Comment

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.