LE BARRAGE. Etreindre la terre et les corps au Soudan

M Fiction de Ali Cherri, France / Soudan / Liban / Allemagne / Serbie / Qatar, 2022
Sortie France : 1er mars 2023 (Sophie Dulac Distribution)

C’est près du barrage de Merowe, au Soudan, dans une briqueterie alimentée par les eaux du Nil, que Ali Cherri puise l’inspiration et la matière de son premier long-métrage de fiction. Le Barrage, inauguré à la Quinzaine des réalisateurs, au Festival de Cannes 2022, s’inscrit dans une trilogie sur les géographies de violence, entreprise par un cinéaste qui est avant tout plasticien. Né à Beyrouth, installé à Paris, passé en résidence à la National Gallery de Londres, Ali Cherri est réputé pour ses vidéos, ses installations qui questionnent la construction des récits historiques.
Le Barrage (The Dam) est le troisième volet d’une trilogie tellurique, composée de deux courts-métrages autonomes. L’Intranquille, tourné au Liban, s’attache aux catastrophes provoquées par les tremblements de terre et les autres séismes de la région. Le Creuseur, filmé dans le désert des Emirats Arabes Unis, part d’objets trouvés sur place pour évoquer la manière dont les récits historiques se construisent. Le Barrage, élaboré par les Chinois, se situe près de Merowe, au nord du Soudan.

Le personnage principal, Maher, travaille dans une briqueterie traditionnelle et communique peu avec les autres. Le soir, il s’enfonce dans le désert et s’active à construire avec de la terre mouillée, une sorte de pyramide à forme humaine. Elle paraît gémir et respirer par des failles qui Maher s’affaire à consolider. Le soleil la fait sécher et la sculpture doit être entretenue avec soin. Le travail à la briqueterie est ponctué par les visites du patron qui distribue la paye et ne traite pas tous les ouvriers selon leurs espérances.
Tout en élaborant sa créature, Maher souffre d’une blessure au côté, qui fait écho aux lézardes de sa construction. Il part en ville se faire soigner par une infirmière puis reprend obstinément son travail au désert. Mais un orage violent compromet la sculpture de Maher. Sa nature pulvérise la déception, la douleur, au-delà des éléments et de l’aspiration à s’élever, sans cesse remise en question. Parallèlement, des cadavres flottent près du barrage où l’eau s’écoule toujours avec force.

« Ce barrage est aussi un projet destructeur, qui a entrainé l’expulsion violente de ceux qui habitaient à proximité, les Manasir, et qui matérialise la brutalité de la dictature d’Omar el-Bechir, le maître du Soudan de 1989 à 2019 », pointe Ali Cherri. « C’est également un ouvrage catastrophique en termes d’environnement. » A côté, les ouvriers font des briques avec les mêmes techniques qu’au temps des Pharaons, tandis que le pays bascule avec les révoltes, le départ d’Omar el-Bechir, la reprise de l’armée. « Les travailleurs de la briqueterie sont au courant de ce qui se passe, ils suivent les événements à la radio et à la télévision, mais ils n’y participent pas. Ils se vivent comme en marge du monde », observe le réalisateur. « Ils ont largement intériorisé un sentiment d’impuissance politique. »
Ces questions liées au travail, à l’eau, profondément ancrées dans le projet du film, affleurent juste dans Le Barrage. Ali Cherri privilégie l’esprit des lieux, chargé de strates d’Histoire, le Gebel Barkal, une région où on pratique l’afro-soufisme. « Un mélange de rituels musulmans et animistes qui a été violement réprimée par le pouvoir islamiste d’el-Bechir », explique le cinéaste. « Le soufisme, et encore plus cette variante, considère que tout ce qui existe est l’œuvre de Dieu, et est donc sacré : la montagne, les humains, l’eau, les arbres, les animaux… »

 

Lire la suite sur le site africine.org

Author: Michel Amarger

Share This Post On

Submit a Comment

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.