Volubilis : la fracture sociale au Maroc

L’écart entre la reconnaissance en festivals et la distribution d’un film à l’international se creuse pour les oeuvres africaines. Les productions marocaines d’auteurs n’échappent pas à cette tendance. Ainsi Volubilis de Faouzi Bensaïdi, après avoir été sélectionné à la Mostra de Venise 2017, remporté un Tanit de Bronze aux JCC de Tunis, et raflé 7 prix au 19ème Festival national du film de Tanger, n’arrive sur les écrans français que bien plus tard. Cette fiction marque le retour à la réalisation de l’auteur de quatre longs-métrages dont Mort à vendre qui remonte à 2011. Entre-temps Bensaïdi a fait l’acteur pour Sofia Djama (Les Bienheureux), Meryem Benm’Barek (Sofia) tout en enseignant à l’ESAV de Marrakech. Volubilis signale une orientation plus sociale de son regard.

 

Il s’attache à la relation d’un couple marié, contrarié par les difficultés financières. Abdelkader porte avec fierté et autorité, le costume de vigile dans un supermarché chic de Meknès. Malika, sa femme, contrainte de résider chez ses parents, sert de bonne pour des bourgeois aisés. Abdelkader et Malika rêvent d’emménager ensemble mais un incident compromet leur projet. Le vigile zélé refoule une riche cliente qui tente de doubler d’autres consommateurs. Il perd ainsi sa place, son prestige, ses revenus. Il rêve alors de se venger de l’homme d’affaires qui l’a giflé en le filmant, pour contenter la cliente éconduite. Et comme Malika travaille dans sa luxueuse villa vitrée, Abdelkader l’observe à la dérobée en traquant ses failles, son argent, son honneur.

 

Volubilis s’introduit ainsi dans deux mondes opposés, celui de la classe fortunée, issue de la mondialisation et du capitalisme installé, et celui du prolétariat qui travaille dans la précarité et la servitude. « Nous vivons dans un monde où les écarts se creusent de manière effrayante, où il est de plus en plus difficile de vivre dignement », souligne Bensaïdi. « J’ai également voulu montrer ces deux mondes qui se côtoient mais s’ignorent. » Cette intention le pousse à équilibrer les points de vue en montrant des personnages marocains contrastés. « Nous sommes tous humains et tous faillibles et personne ne détient la vérité », estime le cinéaste en signant « un film sur l’humiliation et la dignité. »

 

Abdelkader est vu comme un amoureux tendre avec Malika mais il lui interdit de conduire, de fumer et aimerait la voir porter le foulard. Il paraît imbu de sa condition de vigile qu’il exerce jusqu’à l’excès et la perte. A ses côtés, son épouse sait composer avec le patriarcat et les codes sociaux en côtoyant des milieux aisés. « Malika est un personnage pétillant », déclare le réalisateur. « Je crois qu’elle arrivera à sauver son mari, finalement. » Mais le combat pour retrouver l’honneur perdu et la solidité du couple est ardu. « L’histoire est très réaliste et actuelle. Elle part de choses quotidiennes de la vie », commente Bensaïdi. « J’ai fait ce film parce que j’ai vu autour de moi des divorces à cause du licenciement et du chômage, des couples où le niveau de vie baisse, les reproches fusent, le sentiment d’humiliation et de culpabilité grandit. »

 

Son approche vise à exposer comment la situation sociale et politique d’un pays influe sur l’intimité des citoyens. « J’essaie de montrer quel en est l’impact sur la vie d’un couple, qui ne demande finalement qu’un minimum : un toit, une dignité, une vie décente. » Et le titre de la fiction trouve sa justification lorsque ce couple échange des confidences en se promenant dans des ruines. « Volubilis est une cité romaine antique que traversent Abdelkader et Malika, à un moment du film. La séquence est charnière et prend une dimension presque mythique », explique Bensaïdi. « Le couple fait une visite anodine à Volubilis et quelque chose bascule dans sa vie. On rentre alors dans la tragédie, dans sa dimension la plus universelle. »

 

Ainsi Faouzi Bensaïdi s’appuie sur des plans larges pour ouvrir les perspectives. L’usage de la profondeur de champ lui permet d’inscrire ses personnages dans un décor signifiant de chaque classe sociale. Il joue alors sur les regards, avec une économie de gestes, faisant agir ses protagonistes pour faire avancer l’action, sans s’appesantir sur leur psychologie. Habile à diriger des acteurs familiers composant une sorte de troupe, il y intègre Mouhcine Malzi et Nadia Kounda, jouant le couple, en se glissant dans la peau de l’homme d’affaires veule, aux côtés de sa muse, Nezha Rahil en mondaine frivole. Une savante mise en espace autour de la villa vitrée des bourgeois, suggère de réfléchir comment on regarde les autres, comment ils vous voient, dans un monde où certains cultivent un regard incisif et d’autres, l’aveuglement.

 

 

 

 


LM Fiction de Faouzi Bensaïdi, Maroc / France / Qatar, 2017 – Sortie France : 19 septembre 2018

Vu par Michel AMARGER (Afrimages / Médias France)

Author: Michel Amarger

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