Ntarabana : dépasser le génocide rwandais

Long métrage documentaire de François Woukoache (Cameroun / Rwanda / Belgique, 2017), Ntarabana sera diffusé en présence du réalisateur lelundi 30 avril 2018 à 20h et le jeudi 2 mai 2018 à 19h30 au Cinéma Aventure, 15 rue des Frippiers, Galerie du centre 57 Bloc II, 10000 Bruxelles.

Le poids du génocide qui a déchiré le Rwanda pèse sur la mémoire du pays depuis 1994. La société a tenté d’expurger le mal avec des tribunaux populaires où chacun vient exprimer sa douleur, ou sa culpabilité, tandis que des réalisateurs prennent le relais en utilisant le cinéma comme un outil supplémentaire pour faire surgir la parole de tous bords. C’est en ce sens que François Woukoache diffuse aujourd’hui son nouveau documentaire, Ntarabana, 2017, parmi les communautés rwandaises mais aussi dans les salles de cinéma occidentales.

Le réalisateur camerounais est connu pour son engagement dans la création audiovisuelle au Rwanda depuis qu’il s’est installé au pays, en 1996. Auteur de documentaires qui questionnent volontiers le travail de mémoire autour des valeurs africaines tels Melina, 1992, sur le deuil au Cameroun, ou Asientos, 1995, sur les indices de la traite négrière au Sénégal, François Woukoache s’est investi au Rwanda dans l’animation d’ateliers de sensibilisation à l’image ou des sujets pour la télévision. Il questionne le génocide avec Nous ne sommes plus morts !, 2000, et Icyizere (l’espoir), 2007, pour clore son triptyque avec Ntarabana.

François Woukoache au travail

Le titre désigne le village où se situe le film, dans le district de Rulindo, au nord du Rwanda. Quelques personnages choisis font écho au génocide des Tutsis et les exactions sur des Hutus modérés qui se sont soldés par un million de morts en 1994. Parmi les Justes du village, Froduald Rugwiza et Anne-Marie Mukankundiye racontent comment ils ont sauvé des Tustsis. Une rescapée, Anastasie Murekaze, qui a vu sa famille tuée par les miliciens, relate le cheminement personnel qui lui a permis d’accorder le pardon pour se réconcilier avec ceux qui ont massacré les siens. Parmi les survivants telle Marianne Mukanyanguzi, un milicien repenti, Gaspard Nkundiye, qui a participé aux exactions, confie ses engagements impulsifs et ses traumatismes actuels.

La parole est ainsi un point de départ pour réveiller le sens des événements passés. Avec ses manques, ses non-dits, ses sous-entendus, elle s’appuie sur la subjectivité des approches mais aussi sur les scènes qui ont marqué les protagonistes en profondeur. L’héritage de la colonisation, du christianisme oppressif, est alors dépassé par la culture rwandaise qui règle les conflits et les problèmes au quotidien, dans un même élan communautaire. Les villageois qui témoignent accusent le coup mais savent aussi surmonter les meurtrissures du génocide qui a échoué à anéantir toute une partie de la population.

Ntarabana laisse s’installer le rythme rural et les échanges sur la durée. Il prend le temps de rentrer dans les histoires, dans l’Histoire, pour laisser surgir émotions et réflexions. Le réalisateur joue alors sur le potentiel de ses images pour renforcer son impact. Il cadre des scènes posées, aux couleurs normalisées et réalistes, en les opposant à des plans surexposés dans un va-et-vient signifiant, lié au contenu des récits. Le son feutré ou en amplitude, accentue les contrastes et les reliefs des questions soulevées par le film. François Woukoache fait ainsi œuvre de cinéma total, à partir d’un projet engagé dès 2012, mûri en 2014, qui lui a permis de recentrer son propos sur les habitants de Ntarabana.

Après un an de repérages, d’investigations sur place, le film se nourrit de l’implication des villageois, de leur engagement à dépasser les chocs pour affirmer la vitalité de la société du Rwanda. En s’appuyant sur ses fonds propres, le soutien de l’Union Européenne et un financement participatif, François Woukoache a pu mobiliser des professionnels de Belgique pour boucler sa postproduction. Il incite à tirer les leçons de la violence qui a dévasté le Rwanda pour réfléchir aux événements récents d’autres pays d’Afrique. Ntabarana propose de mesurer la faculté à dépasser ses douleurs intimes pour contribuer à solidifier le présent des communautés en mouvement.

Vu par Michel AMARGER (Afrimages / Médias France)

 

Author: Michel Amarger

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2 Comments

  1. J’ai beaucoup apprécié le recadrage des choses par le réalisateur de Ntarabana: Tous les Hutu n’ont pas des génocidaires. Il y en a qui ont risqué leur vie en protégeant les tustsi. Il y en a même qui l’ont perdue: La première ministre Tutsi de cette époque avait été tuée parce qu’elle ne voulait pas participer au génocide.
    À mom avis François essaie de réétablir la justice dans la perception populaire des Hutu à travers Ntarabara.
    Ce film est le résultat d’une haute investigation. J’ai beaucoup apprécié.
    Jacques.

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  2. Très bon film en effet sur l’histoire de ce pays qui reste d’ailleurs factuelle. Il dépasse l’habituel génocide hutu/tutsi pour chercher l’humanisme qu’il ya en chacun de nous.

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