La distribution des courts métrages, en salle, dans les festivals et à la télévision

Le 11 décembre 2019, dans le cadre des rencontres du cinéma francophone liées au festival Dakar court à l’Institut Français de Dakar, cette table-ronde a réuni : M. Moly Kane, président de Dakar Court ; Mme Christine Gendre, responsable du service courts métrages à UniFrance ; Mme Émilie Boucheteil, directrice cinéma à l’Institut français ; Mme Cleli Azokpa, directeur des acquisitions de A+ ; Mme Angèle Paulino, responsable cinéma à TV5 Monde ; M. Sylvain Agbré, directeur de l’exploitation des cinémas Majestic (Côte d’Ivoire) et Mm Dyana Gaye, réalisatrice franco-sénégalaise. La table-ronde était modérée par Mme Claire Diao, journaliste et distributrice Sudu Connexion.

Claire Diao, journaliste et critique de cinéma, est spécialiste des cinémas d’Afrique et de la diaspora. Elle cofonde en 2015 AWOTELE, revue digitale panafricaine. En 2013, elle propose des courts métrages dans le cadre d’un programme itinérant, Quartiers Lointains, qui circule chaque année entre la France, les États-Unis et plusieurs pays d’Afrique. Elle crée en 2016 Sudu Connexion, société de distribution visant à promouvoir à l’international des cinéastes et des films qui manquent de visibilité d’un continent à l’autre, pour prendre le relai entre réalisateurs et producteurs qui ne connaissent pas les circuits. L’un des enjeux importants de Sudu Connexion est de décloisonner les barrières linguistiques qui tendent à limiter la circulation des films à l’un ou l’autre réseau, qu’il soit francophone ou anglophone, voire lusophone. Le catalogue Sudu Connexion compte une quarantaine de titres, courts et longs-métrages, documentaires et films expérimentaux. Les résultats 2019 sont très encourageants avec 168 sélections en festivals, 39 prix et 12 ventes (TV, VoD, cinémathèque, musée). Zombies de Baloji (Belgique/RDC), film expérimental musical de 14’, est le titre phare du catalogue de la société. C’est au Festival d’Oberhausen 2019 (Allemagne) qu’il est primé pour la première fois. Il totalise depuis près d’une vingtaine de récompenses et de nombreuses autres sélections. « Alors oui, il y a un marché possible pour le court métrage » affirme Claire Diao.

 

Première partie : exploitation en salle et diffusion télé

De gauche à droite : Mme Claire Diao, journaliste et distributrice Sudu Connexion – modératrice ; Mme Dyana Gaye, réalisatrice franco-sénégalaise ; Mme Angèle Paulino, responsable cinéma à TV5 Monde ; M. Sylvain Agbré, directeur de l’exploitation des cinémas Majestic (Côte d’Ivoire) ; Cleli Azokpa, directeur des acquisitions de A+.

Sylvain Agbré s’exprime sur la diffusion au Majestic. Des jeux interactifs sont proposés en début de séance pour permettre aux clients d’être dans une ambiance déjà préparée. « Nous programmons surtout des blockbusters. Nous avons peu de courts métrages et de films africains parce qu’on a du mal à constituer un catalogue. Aujourd’hui c’est possible, on programme un film africain par mois, on se focalise vraiment sur la sortie du film. Quant aux courts métrages, nous en réunissons 4 dans un programme d’environ 60 minutes. Mais la séance étant composée de films d’auteurs, elle ne rassemble que très peu de spectateurs. Nous travaillons avec des partenaires sur les courts métrages et offrons gracieusement nos salles au Festival Clap Ivoire (dédié aux jeunes). Devant chaque film africain, nous passons un court métrage et le public peut voter pour son film préféré. Le court qui passe avant le long-métrage est annoncé sur les réseaux sociaux. Une communication spécifique est faite autour du film, pour informer le public mais aussi pour lui donner plus de visibilité ». Claire Diao souligne que cette initiative rappelle celle du « Radi » (Réseau alternatif de diffusion) mis en place en France par l’Agence du court métrage et qui encourage les exploitants à passer des courts métrages en avant-séance. Sur la question des reversements de droits, Sylvain Agbré explique avoir une mission de distribution vers la diffusion TV de sorte que les ayants droit aient un retour. Les courts métrages sont proposés pour un montant forfaitaire de 2 000 francs CFA et chaque producteur a 500 francs à sortir pour la diffusion.

Il déclare aussi qu’après avoir découvert Tabaski de Laurence Attali en compétition à Dakar Court, il aimerait tenter à nouveau de programmer des courts, et pourquoi pas des films issus du catalogue Sudu Connexion qu’il prendrait pour une diffusion en exclusivité.

Dyana Gaye relate ensuite son expérience sur le continent africain. Ses deux films, Deweneti et Un transport en commun, ont plutôt été diffusés en festivals, notamment à Image et Vie à Dakar, à Carthage et au Fespaco, mais ne sont pas sortis en salle. En France, ils ont bénéficié d’une distribution grâce à Thomas Ordonneau (Magouric Distribution). Sa formule, assez originale, consistait à associer un court et un moyen-métrage du même réalisateur pour les programmer comme une séance classique de cinéma. Ainsi, Un transport en commun, fait complètement inespéré pour une comédie musicale, est sorti à Paris puis en province, a bénéficié d’une belle visibilité publique et d’une couverture presse incroyable. Il a fait entre 25 000 et 30 000 entrées puis s’est vu inséré dans un dispositif d’éducation à l’image.

Claire Diao pense que l’éducation à l’image pourrait être un dispositif à mettre en place ici, au Sénégal, en s’inspirant du modèle français. Il s’agirait de choisir chaque année un certain nombre de films à montrer aux élèves de toutes les écoles et de s’entourer de programmateurs jeunes publics sachant animer la rencontre.

Sur la question des retombées financières, Dyana Gaye précise que les festivals ne s’inscrivant pas dans les circuits dits commerciaux, seuls les films qui remportent des prix, et ce fut le cas pour ses courts métrages, peuvent éventuellement permettre aux réalisateurs de gagner de l’argent. « Pour Deweneti par exemple, tout s’est enchaîné de façon miraculeuse. Tourné très vite, nous n’avions pas conscience de « l’objet » que nous étions en train de fabriquer. Le prix décerné à Clermont-Ferrand l’a clairement mis en lumière et lui a offert une visibilité internationale » ajoute-t-elle. De son point de vue, les films du continent africain doivent être présentés plus souvent dans des festivals internationaux sans l’étiquette « film africain ». Plutôt que de les qualifier de « carte de visite », Dyana Gaye insiste sur le fait que les courts sont des films à part entière. Raconter des histoires courtes est un choix qui doit être totalement assumé, qu’elle que soit la forme que l’on veut donner à son histoire. Plusieurs cinéastes n’ont fait que des courts métrages. Le succès des siens a clairement contribué au développement et au financement de son long-métrage.

Pour Cleli Azopka, le court métrage s’inscrit dans une recherche de nouveaux talents et de soutien à la création à l’échelle de l’Afrique francophone. A+ ne fait pas de préachat et propose des films de moins de 13 minutes, programmés comme des « respirations » dans les cases quotidiennes. Canal+ Afrique ne fait pas non plus de préachat mais peut aider financièrement sur les finitions d’un film avant sa diffusion. Les films lauréats de Dakar Court 2018 ont été diffusés sur Canal+ Afrique qui a également acheté les droits de Sega et Nos voisins en compétition cette année. Une dizaine de programmes courts d’Afrique francophone, doublés en français par l’ayant droit dans la plupart des cas, ont été achetés en 2019.

Au sein de TV5 Monde, Angèle Paulino, commence à s’intéresser aux films du continent africain. La chaîne ne fait pas de préachat et ne diffuse jamais de moyens-métrages. Sa façon de travailler sur le court métrage est complémentaire à celle de Canal+ Afrique. La chaîne diffuse du contenu francophone et ne fait jamais de doublage. Les langues locales peuvent être acceptées sur TV5 Afrique. Les films (entre 5 et 25 minutes) sont diffusés en complément d’un long-métrage. C’est principalement à l’occasion des marchés internationaux dans lesquels elle se déplace, à Clermont-Ferrand notamment, qu’Angèle Paulino trouve de quoi nourrir sa programmation annuelle. Elle travaille aussi étroitement avec les distributeurs qui connaissent bien ses exigences éditoriales et techniques, ce qui facilite la livraison des supports de diffusion. Sa présence à Dakar Court va lui permettre de nouer de nouvelles relations qui aboutiront, elle le souhaite, à la diffusion d’œuvres issues des pays d’Afrique francophone.

À propos du doublage, Dyana Gaye regrette que l’on demande aux acteurs d’interpréter un film dans une langue qui n’est pas la leur et aimerait, pour que l’on puisse jouir vraiment de la diversité des langues et dialectes africains, que la question du sous-titrage puisse évoluer. Cleli Azopka explique que la chaîne A+ Ivoire doit répondre aux attentes des téléspectateurs et ne peut donc prendre le risque de perdre de l’audience en diffusant des films sous-titrés dont ils n’ont pas l’habitude.

 

Seconde partie : accompagnement, promotion et diffusion en festival

De gauche à droite : Mme Claire Diao, journaliste et distributrice Sudu Connexion – modératrice ; M. Moly Kane, président de Dakar Court ; Mme Christine Gendre, responsable du service courts métrages à UniFrance ; Mme Émilie Boucheteil, directrice cinéma à l’Institut français

Claire Diao évoque le Sénégal comme étant depuis longtemps une « terre de cinéma et de festivals » et questionne Moly Kane sur les raisons qui l’ont poussé à mettre sur pied Dakar Court. De son point de vue, le format est extraordinaire, le court métrage est un art comme tous les autres, aux genres et aux formes multiples. Dakar Court est donc né de ce constat, de cette envie de montrer au public la richesse créatrice des auteurs. « Même s’il n’est pas rentable, nous remplissons les salles. C’est ce talent que nous voulons valoriser dans le cadre du festival. La portée internationale de l’événement se met en place grâce notamment au soutien du Festival de Clermont-Ferrand et nous souhaitons dans les années à venir donner plus de visibilité aux courts métrages africains » précise-t-il.

Émilie Boucheteil souligne le rôle très important que joue l’Institut français pour maintenir la présence du cinéma français en Afrique alors que les salles disparaissent. Les films, achetés en amont par l’Institut français, sont diffusés à travers le réseau des Instituts et des Alliances françaises ou encore dans les services culturels des ambassades. Les droits de diffusion culturelle sont achetés pour des projections gratuites ou à tarif réduit, organisées en Afrique et dans le monde. Le catalogue de l’Institut français, qui est aussi une plateforme BtoB, compte des longs et des courts métrages. « Si l’on devient partenaire d’un Institut, d’une Alliance ou de toute autre institution présente sur un territoire, nous travaillons ensemble à une programmation culturelle ». Le fait d’avoir accès à des contenus implique logiquement qu’il y ait un public potentiel. Comme pour une formation d’éducation à l’image, on peut tout à fait envisager de travailler ensemble notamment dans le cadre du réseau REDA.

Christine Gendre salue le travail des acteurs institutionnels qui œuvrent sans relâche au quotidien, en France et dans beaucoup d’autres pays, pour promouvoir et valoriser les œuvres des jeunes auteurs et des producteurs à l’international. « Défendre le court métrage, c’est se battre en permanence, lutter contre les a priori. Nous menons ce combat à UniFrance avec une volonté de fer. Tous les films sont enregistrés sur notre site www.unifrance.org et peuvent être publiés, sous condition, sur notre plateforme BtoB accessible à l’ensemble des professionnels français et étrangers référencés sur notre base de données ». Les dispositifs mis en place pour soutenir et accompagner le travail des producteurs et réalisateurs sont multiples :

Aide sélective : destinée aux sociétés ayant moins de 6 ans d’existence

Aide automatique : destinée aux sociétés qui ont un court sélectionné dans un festival de catégorie (Sundance, Rotterdam, Berlin, Locarno, Venise, Toronto)

Aide à l’initiative : elle concerne exclusivement des actions spécifiques menées en faveur de la diffusion d’un film ou d’un programme de films à l’étranger. Elle peut être donnée à un producteur français ou à un distributeur étranger qui ont ensemble un projet innovant

Aide au voyage : peuvent en bénéficier les réalisateurs ou producteurs qui souhaitent accompagner leur film en compétition dans un festival dont UniFrance est partenaire

Aide à la distribution : pilotée par UniFrance avec le soutien du CNC, elle vise à la structuration du secteur de la vente à l’international en accompagnant les entreprises commerciales privées

« Pour créer des passerelles entre jeunes auteurs et réalisateurs confirmés, nous nous appuyons également sur le réseau des équipes du long-métrage pour l’organisation d’événements réunissant courts et longs-métrages à l’étranger, comme c’est le cas à Dakar Court par exemple. Nous constituons aussi à la demande des programmes à la carte en Ukraine, en République tchèque, aux États-Unis ou encore au Kazakhstan » ajoute-t-elle.

Christine Gendre évoque l’analyse annuelle réalisée par UniFrance sur les ventes de courts métrages à l’étranger. Depuis une dizaine d’années, l’étude démontre à quel point le secteur a besoin de soutien. Malgré sa vitalité et une certaine stabilité, il est fragilisé par la disparition progressive des acheteurs TV étrangers. C’est d’ailleurs ce constat qui a obligé UniFrance à « inventer » l’aide à l’initiative pour permettre aux porteurs de projets innovants de défricher d’autres terrains et modes de diffusion.

Moly Kane revient sur l’importance des marchés dédiés au court métrage. La présence de l’équipe au Marché de Clermont-Ferrand en février dernier a permis à Dakar Court de nouer des liens avec plusieurs festivals, San Francisco notamment. Par ailleurs, les films au palmarès de Dakar Court 2019 seront montrés en Italie en 2020 (avec le soutien de l’ambassade) aux côtés de films sénégalais. Christine Gendre précise qu’UniFrance mettra tout en œuvre pour porter haut et fort la parole de Dakar Court sur les festivals et marchés internationaux, comme elle l’a fait auprès de Jacopo Chessa en novembre 2019, à l’occasion du Marché du court métrage de Turin.

Sur l’évolution de Dakar Court, Moly Kane pense à la mise en relation de créateurs dans le cadre de résidences d’écriture. Un accompagnement pourrait être proposé et, une fois le scénario écrit, tout serait mis en œuvre pour faciliter la rencontre avec des producteurs et des distributeurs. Dakar Court a mis en place dès sa première édition des séances de pitch qui ont plutôt bien fonctionné pour certains auteurs. Mais l’ambition de Moly Kane est d’aller plus loin, de trouver le moyen de mieux structurer la création pour faire réellement émerger les jeunes talents africains.

Émilie Boucheteil souligne que la présence des institutionnels à Dakar Court peut aussi faciliter ce dynamisme. Le Sénégal produit cinquante courts métrages par an, beaucoup plus par rapport aux longs. « Il est important pour nous, partenaires du festival, d’entendre vos demandes et de vous encourager dans votre volonté de progresser » conclut-elle. Moly Kane ajoute que l’Institut français de Dakar a accompagné de jeunes auteurs dans le cadre de l’Université d’été de La Fémis, université à laquelle il a lui-même participé en 2012.

En réponse à la question posée par un jeune sénégalais sur les aides possibles pour négocier un contrat d’auteur, Moly Kane dit qu’il serait nécessaire d’ouvrir une formation sur le sujet. Émilie Boucheteil intervient alors au nom des deux ministères, français et sénégalais, et précise que le Secrétariat général du ministère de la Culture français peut répondre à toute demande sur les questions de droit d’auteur et de contrat. Elle propose aussi de donner le contact nécessaire à la SACD qui a elle aussi une mission de conseil juridique.

Pour conclure, une participante du public dit que le court métrage est un format qui l’intéresse vraiment et qu’elle ne le voit jamais comme un exercice. Raconter une histoire courte est sans doute compliqué. Peut-être est-ce pour cette raison que les films courts diffusés à la télévision sont souvent des documentaires ou des courts métrages musicaux.

Christine Gendre relève que la diversité des genres et des formes est tout à fait nécessaire dans le court métrage pour montrer l’inventivité des auteurs. Sans cette liberté d’expression, les courts métrages ne seraient pas ce qu’ils sont ! S’ils sont bien produits et bien réalisés, beaucoup trouvent leur place en sélection dans le vaste échiquier des festivals internationaux. En 2019, UniFrance a accompagné la sélection de 1807 films dans 101 festivals répartis sur 38 pays. 115 d’entre eux ont été récompensés de 185 prix.

Author: Olivier Barlet

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