Fahavalo, Madagascar 1947 : nouveau regard sur l’insurrection malgache

À Madagascar en 1947, les rebelles insurgés contre le système colonial sont appelés fahavalo, «ennemis» de la France. Les derniers témoins évoquent leurs longs mois de résistance dans la forêt, armés seulement de sagaies et de talismans. Les images d’archives inédites filmées dans les années 40 dialoguent avec les scènes de la vie quotidienne dans les villages aujourd’hui. Les récits des anciens et la musique hypnotique de Régis Gizavo nous transportent dans le passé pour découvrir cette histoire refoulée. Sortie France : 30 janvier 2019

« Le réel aide à transmettre les enseignements du passé », affirme Marie-Clémence Andriamonta–Paes. C’est pourquoi son premier documentaire, réalisé en solo, fait remonter des mémoires, l’insurrection malgache de 1947, où des habitants de l’île colonisée par les Français, ont tenu tête au pouvoir. Pour raviver cette histoire oubliée, toujours ancrée dans l’âme malgache, la réalisatrice recueille la parole des survivants, en complément d’images d’archives d’époque. Il s’agit alors de « raconter les années 1940 du point de vue des Malgaches, notamment des soldats », dit Marie-Clémence Paes. « Car je n’ai jamais entendu que la version française de l’histoire de la seconde Guerre Mondiale à l’école. »

Née de mère malgache et de père français, elle est bien placée pour creuser les liens entre les deux cultures, et les politiques qui en découlent. Après des études de sociologie en France, elle fonde Laterit productions en 1988, avec son compagnon, le cinéaste brésilien Cesar Paes, pour partager les cultures de Madagascar, du Brésil, d’Afrique et des îles. Productrice de documentaires tels Angano… angano… Nouvelles de  Madagascar, 1988, Aux guerriers du silence, 1992, Mahaleo, 2005, Songs for Madagascar, 2016, elle signe aujourd’hui Fahavalo, Madagascar 1947.

Le film s’articule comme un voyage, attentif à l’environnement, suivant les voies du chemin de fer, le long desquelles l’insurrection s’est propagée. En parcourant l’île, des hauts plateaux jusqu’à la côte est de Madagascar, la réalisatrice rencontre des témoins dont les propos sont remis en perspective par les images d’archives des années 40. Les insurgés contre le régime colonial, qu’on appelle « fahavelo », soit les « ennemis » pour la France, juste armés de sagaies et de talismans, tiennent tête en se retranchant dans les forêts plus de 18 mois.

La lutte, aiguisée par les rites des chamans et les techniques des anciens combattants de la Seconde Guerre Mondiale, est née de leur dépit. Convaincus qu’après leur retour sur l’île, en 1946, les Malgaches enrôlés dans l’armée française, vont assister à l’indépendance, promise par le Général De Gaulle, ils sont déçus de se retrouver dans les plantations coloniales. L’île, devenue colonie française depuis 1896, revendique son indépendance sous la houlette du Mouvement Démocratique de la Rénovation Malgache, fondé en 1946.

La répression brutale des autorités françaises à l’insurrection qui débute le 29 mars 1947, sonne le glas des espoirs en faisant de nombreuses victimes et des prisonniers. « Il fallait se taire pour survivre », rappelle Marie-Clémence Paes. « La censure et la répression après les événements de 47 ont durablement installé un climat de suspicion et la pratique de la délation, contribuant à épaissir le silence autour des témoignages. » Mais avec le recul, face à sa caméra patiente, les rebelles se souviennent. Paul Moravelo, dit Rapaoly, engagé dans le conflit à 21 ans, ouvre le film par un rituel protecteur. Iamby raconte comment son fils est né dans la forêt pendant la bataille de Nosy Varika. Martial Korambelo explique comment il a survécu aux massacres à Ambila et Manakora avant d’être emprisonné plus de huit ans.

Bebe ny Dadoa qui a 103 ans lors du tournage, en 2015, exalte la survie sur la ligne de train entre Antananarivo et Tamatave où elle réside. Et Boto Service vit toujours à Tsimbahambo, près de la voie ferrée où l’insurrection s’est intensifiée. Berthe Raharisoa, belle-fille d’un membre du MDRM, se souvient de son mari, incarcéré à Nosy Lava. Des échanges poignants, pimentés par les propos caustiques de David Andriamizaka, oncle de la réalisatrice, qui a pratiqué la médecine à Paris et l’a enseignée à l’université de Antananarivo.

La parole des témoins, en écho aux images d’époque, révèle le décalage entre les forces en présence. En célébrant l’esprit de résistance du peuple malgache, Marie-Clémence Paes réveille sa mémoire. « Ceux qui ont vécu les épisodes douloureux de l’histoire coloniale n’ont pas pu ou voulu transmettre ce qu’ils ont vécu », relève t’elle. « Certains voulaient essayer d’oublier à jamais, par culpabilité peut-être, ou par ignorance, voire par amour pour leurs enfants afin de les protéger. » Le film vise au contraire à célébrer ce passé comme les somptueux paysages de l’île, cadrés avec sensibilité par Cesar Paes, le mari de la réalisatrice.

La musique de Régis Gizavo renforce l’émotion. Ses premiers thèmes, qu’il a enregistrés seul, à l’accordéon et à la guitare comme une maquette, avant son décès en 2017, sont intégrés sans retouches à la bande-son du film. La production est appuyée par Laterit, en France et à Madagascar, avec des moyens venus de Belgique et du Cap Vert, le soutien de Mémoires de Madagascar et d’organismes internationaux, complétés par un crowdfunding. En élargissant le point de vue sur un conflit colonial, Marie-Clémence Paes instaure un questionnement salutaire, rendant ses couleurs brillantes à l’histoire malgache.

 

 

LM documentaire de Marie-Clémence Andriamonta-Paes, France / Madagascar, 2018

Vu par Michel AMARGER

(Afrimages / Médias France)

Author: Michel Amarger

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1 Comment

  1. L’indépendance de la Grande Île, une promesse du Général de Gaulle….

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