L’année est rude pour la culture, étouffée par la pandémie du Covid-19. Noureddine Saïl n’y a pas survécu. Atteint, le 15 décembre 2020, à l’âge de 73 ans, le porte-flambeau du cinéma marocain est définitivement parti, en laissant derrière lui, une belle empreinte.
Noureddine Saïl a bataillé avec ferveur pour accompagner l’éclosion artistique et l’industrie du cinéma au Maroc tout en renforçant les liens avec de multiples pays d’Afrique, et au-delà. Son activité protéiforme l’impose comme un orateur cultivé, militant, fin connaisseur des arcanes du 7ème art, mais aussi comme un stratège tenace.
Sa pensée aiguisée s’est formée par l’étude puis l’enseignement de la philosophie en 1969. Son militantisme l’a poussé au Liban, en 1970, pour soutenir les réfugiés palestiniens. Mais son combat est devenu résolument culturel lorsqu’il a cofondé la Fédération nationale des ciné-clubs au Maroc, en 1973. Cette structure qu’il préside pendant une décennie, lui permet d’élargir le champ des spectateurs marocains en défendant tous les horizons du cinéma, des réalisateurs soviétiques radicaux aux auteurs américains conquérants.
L’idée d’asseoir la création africaine le conduit vite à s’impliquer dans le Festival de Khouribga à partir de 1977, où on montre des films du continent en privilégiant les auteurs. Une tendance défendue avec pertinence à la radio où son émission, Ecran noir, l’impose comme un critique affiné et impressionnant. Son éloquence se déploie et sa notoriété aussi.
Fort de ces expériences, Noureddine Saïl s’oriente vers la télévision où il défend ardemment le cinéma. Directeur des programmes à la Radio Télévision Marocaine en 1984, puis à Canal+ Horizons en 1990, dont il étaye l’expansion, le cinéphile prend la tête de la chaîne marocaine 2M dès 2000, en intensifiant la diffusion des films mais aussi de téléfilms produits en interne, ce qui lui permet de soutenir ses réalisateurs de prédilection.
Noureddine Saïl a ses préférences, affirmées, et il multiplie les soutiens à des cinéastes alliés. Ses partis pris suscitent parfois des controverses mais aussi le respect des professionnels. Alors, lorsqu’il est nommé directeur du Centre du Cinéma Marocain, en 2003, sa politique de structuration du 7ème art au Maroc, prend un nouveau tournant. Il met toute son énergie à développer la création mais aussi l’industrie du pays. Il renforce l’attrait des plateaux marocains en attirant les superproductions occidentales très lucratives pour l’économie, tout en dopant la production nationale par des aides organisées.
Cette volonté de faire rayonner le cinéma marocain le pousse aussi à engager des coproductions en Afrique et en Occident, et à renforcer ses alliances. Noureddine Saïl voyage partout. Il va de réunions en colloques, de Tanger à Ouagadougou en passant par Dakar, Paris, Milan ou Tunis. Chacune de ses interventions publiques fait mouche en alimentant les débats sur la situation du cinéma. Ses élans argumentés mais aussi militants, savent enrichir son auditoire en confortant l’organisation des professionnels.
Sa virulence peut aussi indisposer des membres conservateurs de la société comme le ministre de la Culture islamiste qui le pousse à la porte en 2014. Mais Noureddine Saïl continue la bataille en soutenant plusieurs manifestations et en poursuivant son objectif de lancer une fondation pour développer encore mieux les cinémas africains. La conquête est interrompue par son décès, le 15 décembre 2020, lorsqu’il est percuté par le Covid-19.
La carrière du natif de Tanger, cinéphile insatiable, fougueux et combatif, marque un tournant décisif dans l’histoire du cinéma marocain et dans son ouverture sur le monde. L’homme d’action savait ménager les autorités du Royaume pour mieux leur faire partager ses vues, tout en brusquant parfois les interlocuteurs qui n’étaient pas sensibles à ses idées.
Homme pressé, pressant, le cinéphile est aussi un romancier épisodique et surtout un scénariste inspiré pour plusieurs cinéastes marocains. Noureddine Saïl cultive les relations, les amitiés, le goût du cinéma qui est aussi celui de la vie. Il fait le lien entre deux générations de réalisateurs mais aussi entre deux siècles où le secteur audiovisuel s’est profondément transformé. Son regard acéré mais aussi bienveillant pour les auteurs véritables, s’est éteint. Mais ses échanges vifs et ses actions énergiques en faveur du cinéma brillent durablement.
Michel AMARGER, Afrimages / Média France, 19 décembre 2020