Disparition de Med Hondo : la lumière noire s’est éteinte

C’est une grande figure du cinéma et de la scène qui disparaît avec une discrétion emblématique, juste le jour de clôture du 26ème FESPACO, le 2 mars 2019. Usé par les combats culturels, la fougue militante irrépressible et la maladie, Med Hondo est mort à Paris d’où il a rayonné par une carrière éclectique, riche et solide, portée par la défense des images noires et la revendication de l’identité africaine, fière et libre.

L’héritage qu’il laisse est immense, et reste encore à découvrir car depuis quelques années, le chantre de la culture noire s’était fait plus discret. Après avoir monté des productions indépendantes, à la force du poignet et de la conviction, au cœur du 18ème arrondissement de Paris où il résidait dans une maison pleine de bois, de verdures, il n’a pu résister à la pression des promoteurs immobiliers et il s’est retranché à Montreuil d’où il continuait à orchestrer sa carrière de doubleur réputé dans le cinéma français.

 

Mais Mohamed Abib Hondo était plus que cela. Né à Atar, en Mauritanie, en 1936, dans la caste des Harratines qu’on appelle « esclaves affranchis », il lutte avec acharnement et persistance contre la discrimination, l’esclavage, la colonisation, la répression. Dès son arrivée en France, en 1959, il fait le docker (comme Ousmane Sembène), le cuisinier avant d’exploser au théâtre après avoir suivi les cours de Françoise Rosay. C’est un acteur puissant, à la carrure épaisse, la tignasse et la barbe fournies, la peau noire luisante. Sa diction impeccable fait merveille dans les textes de Shakespeare, Kateb Yacine, Aimée Césaire ou Bertolt Brecht. Il fonde sa troupe Griotshango, en 1966, pour défendre la négritude et le panafricanisme sur les planches. Il participe au Comité africain des cinéastes comme plus tard à l’Association des Réalisateurs Producteurs.

Med Hondo est ambitieux, omniprésent, porté par le souffle épique de la révolte. Il s’initie au cinéma en tournant deux courts-métrages aux titres évocateurs : Balade aux sources et Partout ailleurs peut-être nulle part. Puis en 1969, il réalise Soleil Ô, « une attaque cinglante contre le colonialisme » comme l’indique le Festival de Cannes qui l’a promu il y a peu, dans sa section consacrée aux classiques restaurés, numérisé grâce à la Fondation de Martin Scorsese. « C’est un cri de colère », renchérit Med Hondo qui dérange en dénonçant le traitement des immigrés en France. Sa virulence sur le sujet se manifeste avec éclat dans Les Bicots-nègres, vos voisins, 1973. Il s’insurge contre le racisme, les classes sociales marquées, la société capitaliste.

Med Hondo mène ses révoltes au pas de charge. Il signe Nous aurons toute la mort pour dormir, 1976, puis Polisario, un peuple en arme, 1978, passant de la fiction aux documentaires en dépassant l’académisme par des plans appuyés ou des montages chocs. Il adapte Les Nègriers, un livre du Martiniquais Daniel Boukman pour oser une comédie musicale sur la traite des esclaves, West Indies ou les nègres marrons de la liberté, 1979, imposée comme une référence. Cette œuvre dynamique, reste en phase avec la situation des années 2000 pour Med Hondo qui établira un parallèle entre les charters renvoyant les Africains dans leurs pays, avec l’image des navires négriers. C’est que le combat du réalisateur est incessant, porté par sa parole forte et engagée dans les festivals où il ferraille dans les années 1970 comme les JCC et le FESPACO.

Sarraounia

En 1987, il obtient l’Etalon de Yennenga à Ouagadougou pour Sarraounia, basé sur un livre d’Abdoulaye Mamani évoquant la reine guerrière et résistante à la colonisation, tourné au Burkina Faso. L’œuvre épique, en costumes, propulse Med Hondo comme un réalisateur africain de premier plan. Mais il revient au front en France pour diriger Lumière noire, 1994, adaptation d’un polar politique de Didier Daeninckx sur les bavures policières dans un charter qui convoie des Maliens pour les rapatrier de force. Le propos dérange des institutions françaises et Med Hondo doit produire et distribuer le film en marge des grands circuits. En 1998, il s’énerve des célébrations du 150ème anniversaire de l’abolition de l’esclavage où des productions blanches comme Amistad de Steven Spielberg, 1997, occupent les écrans.

Lumière noire

Alors il s’insurge avec Watani, un monde sans mal, 1998, un essai patchwork pour défendre l’existence des sans-papiers et l’absurdité de la condition des hommes noirs, mais aussi des exploités économiques qui peuvent se radicaliser à droite, en France. Encore un film libre, affranchi des contraintes de formats, de genres où tout se mêle dans un foisonnement d’images pour jeter « un regard sur le racisme en France ». Mais Med Hondo, le panafricaniste, le héraut des idées noires dans des festivals qui lui servent de tribune comme les JCC, innove encore avec Fatima, l’Algérienne de Dakar, 2004, une fiction tirée d’un récit de Tahar Cheriaa. Il traite des conséquences de la guerre, la mixité des couleurs, des origines en terre africaine, en défendant le sort des femmes.

Ces films témoignent de l’engagement de l’artiste mais aussi de ses audaces esthétiques et visuelles qu’il convient de réévaluer dans les évolutions des cinémas d’Afrique et de la diaspora mais aussi à l’échelle du cinéma d’auteur international. The Film Foundation, présidé par Martin Scorsese, ne s’est pas trompé en restaurant avec le partenariat de la Fédération Panafricaine des Cinéastes et l’UNESCO, le brûlot Soleil Ô et le mordant Lumière noire qui précédent d’autres films du réalisateur mauritanien à redécouvrir d’urgence. « La France, c’est mon pays d’accueil », rappelle souvent Med Hondo tout en déplorant les dérives politiques de la Mauritanie, sa terre natale « qui aurait pu servir de modèle à l’Afrique ». Blessé par ce que « les peuples ont trop enduré », l’artiste donne de la voix pour défendre ses films, ses couleurs, ses options politiques avec une fougue impressionnante qui envoie ses détracteurs sur le carreau.

West Indies ou les nègres marrons de la liberté

Pourtant la voix de Med Hondo, ronde, cambrée, puissante, sait aussi se faire douce, ou gouailleuse. A partir de 1968, il la met au service du doublage des films américains en français, et acquiert ses lettres de noblesse en la prêtant à une multitude d’acteurs noirs américains. Il est la voix française « officielle » de Eddy Murphy (27 films), de Morgan Freeman (17 films), Richard Pryor ou Laurence Fishburne… mais aussi celle d’acteurs blancs, élargissant sans cesse sa palette vocale. Voix de Rafiki dans la saga Le Roi lion, ou de l’âne dans celle de Schrek, le comédien s’illustre dans des personnages animés, devenant un expert et une référence très demandée. En 1979, il double au moins huit films et poursuit intensément sa carrière jusqu’en 2016 où la maladie le freine.

L’image du rebelle reste imprimée dans plusieurs films où il fait l’acteur avec panache et sensibilité. De Masculin féminin de Jean-Luc Godard, 1965, à Antilles sur Seine de Pascal Légitimus, 2000, il cultive le grand écart entre les genres, avec discipline et rigueur, sans cesser de combattre les discriminations. Son dernier projet, adapter un livre du politique et poète mauritanien Ahmedou Ould Abdelkader, pour célébrer un mouvement révolutionnaire de jeunes au pays, reste en suspens. Mais ses idées pour avancer « le panafricanisme et l’image de l’homme noir » restent lancées. Med Hondo, le révolté, le fier, l’engagé, méfiant envers les médias mais pétillant et affable avec ses amis, ses alliés, demeure comme un fanal pour éclairer les consciences. Mort ou vif, l’éclat de l’artiste rebelle ne faiblit pas.

 

Vu par Michel AMARGER (Afrimages / Médias France)

 

Author: Michel Amarger

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