Disparition : Brahim Tsaki ne rêve plus

Le réalisateur algérien Brahim Tsaki s’est éteint discrètement durant le premier week-end de septembre 2021. Retiré des écrans, le corps affaibli par ses passions et ses excès, il reste comme un repère singulier dans l’histoire du cinéma algérien.

Brahim Tsaki, né en 1946 à Sidi Bel Abbès, s’est imposé comme un scénariste et un réalisateur rare. Il étudie à l’école d’art dramatique de Bordj-el-Kiffan à Alger puis se perfectionne à l’IAD, l’Institut des Arts de la Diffusion de Louvain la Neuve en Belgique. Il est diplômé de l’INSAS, l’Institut National des Arts du Spectacle et des techniques de diffusion à Bruxelles. La rigueur technique qu’il acquiert durant cette formation en Belgique, se marrie opportunément avec le lyrisme arabe qu’il cultive. Après un premier essai, Gare de triage, 1975, il intègre le département documentaire de l’ONICIC, l’Office National du Cinéma et de l’Industrie Cinématographique, à Alger en 1978.

Le réalisateur se fait connaître en rassemblant trois courts-métrages (La boite dans le désert, Djamel au pays des images, Les oeufs cuits) pour composer Les enfants du vent, 1981. Un film qui signale son goût de l’épure, de l’intemporel, en valorisant des enfants. Son attention au rêve et à la marginalisation au sein d’une société adulte pétrie de dureté, illumine Histoire d’une rencontre, 1983. C’est une fiction sur les sentiments de deux jeunes gens, leur attrait, leurs déchirures. Le film confirme l’art délicat de Brahim Tsaki et lui vaut de recevoir le grand prix du FESPACO 1985 en présence de Thomas Sankara.

Brahim Tsaki s’enivre de cette consécration jusqu’à retrouver le goût du cinéma en France pour tourner Les enfants des néons, 1990, prolongeant l’histoire d’amour brisée d’un couple d’amoureux. L’Algérie entame sa décennie noire et le cinéaste se laisse submerger par l’amertume sans cesser de rêver au cinéma. Il écrit un beau scénario mais doit attendre pour mettre en scène Ayrouwen (Il était une fois), 2006, encore basé sur un couple mixte, déchiré dans le désert, grâce à l’appui de son compatriote Belkacem Hadjadj qui produit le film. Mais la diffusion est restreinte et l’inspiration de Brahim Tsaki semble freinée.

Le cinéaste se refait une santé pour accompagner ses films anciens. Il subjugue toujours le public par ses analyses pénétrantes du cinéma. Il rêve encore de réaliser avec son fils Habib, un scénario qu’ils écrivent ensemble. Mais l’amertume est tenace. L’exil en France ronge les velléités artistiques. Brahim Tsaki se renferme jusqu’à la solitude extrême, jusqu’à lâcher prise. Son potentiel s’est émoussé et le cinéaste ne voit plus que ses films en rêve.

Brahim Tsaki reste pourtant un jalon essentiel de l’évolution du cinéma algérien où il propose un regard attaché à des individus plutôt qu’à une collectivité. Il se démarque de la production étatique par des œuvres en marge des discours, centrées sur l’image, les regards, les enfants, la jeunesse, la mixité, les amours compromis. Ses scénarios sont lumineux, ses intrigues minimales, sa poésie à fleur de peau. Comme l’homme, habile à discourir longuement de cinéma autour d’un verre, volubile et réservé, rétif aux journalistes dont il a pourtant partagé le quotidien, capable d’évoluer dans la société française sans cesser d’activer ses racines algériennes.

 

C’est sur cette double position qu’on se jauge, lui et moi, qu’il s’écarte par méfiance, qu’on se retrouve plus tard, plus apaisés. Le décès de Brahim Tsaki met aujourd’hui un point définitif à une oeuvre parcimonieuse mais significative. Des films, des images, des situations  choisies pour interpeller et faire rêver. Car Brahim Tsaki n’a jamais cessé de rêver au cinéma. Ses visions restent en suspens, fixées dans des films qu’il faudrait revoir pour les « voir ». Comme si le cinéma était plus fort que sa réalisation même. C’est pourquoi le cinéma algérien peut être orphelin de ses rêves. Brahim Tsaki s’est effacé derrière ses étoiles filantes.

Michel AMARGER, Afrimages / Média France, 9 septembre 2021

Author: Michel Amarger

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