Le 73ème Festival de Cannes, prévu du 12 au 23 mai 2020, est annulé à cause des contraintes sanitaires, liées au Covid-19. Après avoir envisagé un report, les organisateurs, réservés sur une édition en ligne, jettent l’éponge en dévoilant quand même une sélection de 56 films, élus parmi 2067 longs-métrages reçus. Ces films sont valorisés par le label Festival de Cannes pour favoriser leur sortie en salles, histoire de marquer l’empreinte de la manifestation, annulée mais symboliquement active.
La sélection officielle du Festival est redéfinie en catégories : « Les fidèles », « Les nouveaux venus », « Un film à sketches », « Premiers films », « Documentaires », « Comédies » et « Films d’animation ». Elle permet à des images africaines d’émerger au milieu de la production internationale. On sait pourtant que la représentation du continent est toujours parcimonieuse à Cannes. Même si quelques auteurs ont su s’attirer la lumière de la Croisette tels Mohamed Lakhdar-Hamina, Youssef Chahine, Yousry Nasrallah, Souleymane Cissé, Idrissa Ouedraogo, Abderrahmane Sissako, Mahamat-Saleh Haroun, Mati Diop…
L’Afrique s’affirme
Il est bien connu que le Festival aime les coproductions solides qui relaient le cinéma d’auteur en priorité. Cette année, l’Egyptienne Ayten Amin se hisse parmi « Les nouveaux venus » avec Souad, une coproduction tunisienne, pilotée par Dora Bouchoucha. La réalisatrice explore les conditions de la mort de Souad, jeune fille de 19 ans qui vit à Zagazig, en suivant sa sœur, Rabab, cherchant à découvrir la vie virtuelle et cachée de la défunte. Une enquête qui la conduit jusqu’à Alexandrie. La réalisatrice, révélée comme documentariste avec Tahrir 2011 : The Good, the Bad and the Politician, défend les couleurs de l’Egypte avec un drame puisé dans l’observation du réel.
Et c’est dans la catégorie « Documentaires » que s’impose le Congolais Dieudo Hamadi avec En route pour le milliard. Connu pour son engagement à traquer les réalités de la RDC avec Examen d’Etat, 2014, Maman Colonelle, 2017, ou Kinshasa Makambo, 2018, Hamadi filme aujourd’hui l’Association des Victimes de la Guerre des Six Jours qui a ensanglanté Kisangani, sa ville de naissance, en juin 2000, opposant deux groupes rebelles, l’un soutenu par l’Ouganda, désigné responsable, et l’autre par le Rwanda. Le cinéaste accompagne les membres de l’Association, partis sur le fleuve Congo pour gagner Kinshasa et demander réparation. Cette coproduction française a déjà remporté le Prix du Jury au Final Cut in Venice, durant la Biennale de cinéma italienne, avant d’être dévoilée en première dans la sélection cannoise.
Jouer de ses racines au Maghreb
Avec ces deux cinéastes, l’Afrique affirme sa visibilité et la maîtrise de regards percutants sur le réel. Mais il y a d‘autres réalisateurs de la diaspora qui soulèvent aussi des questions identitaires au Maghreb. Maïwenn, actrice depuis son enfance maltraitée, devenue cinéaste confirmée, revient à Cannes dans la section des « Fidèles ». Connue pour Polisse, 2011, et Mon roi, 2015, elle signe ADN, fiction où elle joue, en quête de ses racines algériennes. Exploitée par sa mère, l’actrice franco-algérienne Catherine Belkhodja, pendant son enfance, fille d’un Breton d’origine vietnamienne, Maïwenn dirige Fanny Ardant et Louis Garrel dans une histoire tissée après la mort du grand-père algérien, combattant du FLN, qui ravive des clivages familiaux.
Farid Bentoumi, lui, est franco-algérien. Après s’être fait connaître par Good Luck Algeria, 2015, inspiré par son frère qui tentait de devenir champion de ski, il apparaît dans la section « Nouveaux venus » avec Rouge qui montre une infirmière engagée dans la clinique où travaille son père, perturbée par l’enquête d’une journaliste qui révèle des compromissions dans la gestion des déchets. L’ex comédien aligne une belle distribution autour de Zita Hanrot avec Sami Bouajilla, Céline Sallette et Olivier Gourmet. C’est aussi une coproduction belge faite pour alerter.
Réévaluer son passé
Connu lui aussi comme acteur, Samir Guesmi s’est hissé en tête d’affiche depuis Andalucia, 2006, du Franco-sénégalais Alain Gomis. Aujourd’hui, après avoir signé un court-métrage, C’est dimanche !, 2008, il intègre la section « Premiers films » de Cannes avec son long-métrage Ibrahim. Né à Paris d’une famille d’immigrés algériens, il se retourne vers l’enfance pour mettre en scène cette fiction touchante. Ibrahim est l’histoire d’un garçon de 13 ans qui doit s’affirmer face à un père vécu comme menaçant, mais il est aidé par la belle Fatoumata et ses sentiments. C’est une production française déjà prête pour une distribution en salles, apte à défendre les valeurs de partage et de tolérance que pratique son auteur dans les rôles qu’il interprète souvent sur les écrans français.
D’autres indices de la présence africaine ou de ses racines, percent souvent dans les programmes de Cannes que ce soit dans les courts-métrages, les séances spéciales ou hors compétition. On remarque notamment que le Belge Lucas Belvaux, lui aussi acteur devenu cinéaste avec des films sociaux rudes comme Rapt, 2001, ou Chez nous, 2017, est retenu parmi « Les fidèles ». Il réveille les souvenirs de la Guerre d’Algérie avec Des hommes, adaptation d’un roman de Laurent Mauvignier, tourné au Maroc et en France. On y retrouve un ancien combattant français qui s’affronte avec son entourage, lors de l‘anniversaire des 60 ans de sa soeur, en faisant ressurgir les traumatismes de cette époque ancienne, pleine de relents de conquêtes. Entraînés par Gérard Depardieu, Catherine Frot et Jean-Pierre Daroussin ils se frottent au colonialisme et au racisme toujours latent.
Les valeurs du monde noir
Cette année encore, où Spike Lee devait être président du jury après avoir finalisé Da 5 Bloods sur des vétérans du Vietnam revenus retrouver le corps d’un ami, disparu en mission, les questions afro-américaines résonnent dans la sélection officielle. On y remarque deux films du Britannique Steve McQueen, révélé par Hunger, Caméra d’Or 2008, titulaire d’un Oscar en 2014, pour Twelve Years a Slave. Cette fois, il aligne deux films dans la section des « Fidèles » : Lovers Rocks et Mangrove qui aborde le procès de manifestants contre la haine raciale à Londres, en 1970, dédiant ses images à Georges Floyd, décédé le 25 mai sous les coups d’un policier à Minneapolis, aux Etats-Unis. C’est dire que les problématiques actuelles qui secouent le monde noir viennent encore hanter le festival de cinéma.
Alors que la Quinzaine des Réalisateurs est complètement annulée cette année, que la Semaine de la Critique s’est recentrée sur des films français qui vont sortir en salles pour les défendre, comme l’ACID qui soutient des films indépendants par des programmes, des images africaines se glissent en ligne. Cannes XR Virtual, le marché du film qui se déroule du 24 au 26 juin, dédié aux initiatives de la réalité virtuelle et augmentée, propose plus de 55 œuvres XR en projet, développement ou en avant-première. L’Afrique y a sa place via des professionnels innovants. Dans la section VeeR Futur Award, on remarque le produit vidéo 360°, Daughters of Chibok de Joel Kachi Benson. Il rappelle comment les terroristes de Boro Haram ont enlevé 276 élèves adolescentes dans leur dortoir, au sein de la communauté de Chibok, dans l’Etat de Boro, au Nigeria, abordant les questions d’éducation et de droits des femmes sur fond de violence. Au diapason de Cannes, le continent africain s’inscrit au cœur de la course pour un audiovisuel performant.
Michel AMARGER (Afrimages / Médias France)