Long métrage de fiction (animation) de Raul De La Fuente et Damian Nenow (Espagne / Pologne, 2017), présenté hors compétition au festival de Cannes en mai 2018, en sortie dans les salles françaises le 23 janvier 2019.
Il y a beaucoup d’images documentaires des combats qui ont précédé l’indépendance de l’Angola, en 1975. Surtout des images de propagande, attisées par les Etats-Unis et l’URSS, en pleine Guerre froide. Le temps passé permet de s’emparer de la fiction pour poser les questions de l’engagement des journalistes dans le conflit.
Deux réalisateurs, l’Espagnol Raul De La Fuente et le Polonais Damian Nenow, se sont inspirés du livre de Ryszard Kapuscinski, Another day of life, 1976, pour porter à l’écran les péripéties de ce reporter polonais en Angola. A 43 ans, il part couvrir les mois qui précédent l’indépendance, pour une agence de presse polonaise. Le film mêle les images animées et les vues documentaires pour aborder la confusion que traverse son héros.
Another day of life retrace le séjour du journaliste en Angola. Il fait des connaissances à Luanda, en pleine agitation, puis veut gagner la ligne de front, au sud, où le Comandante Farrusco résiste seul avec son unité. Sous la conduite de son ami angolais, Queiroz, Kapuscinski s’engage sur des routes pleines de cadavres. Ils se font intercepter par Carlotta, une guérillera rebelle et séduisante. Après une entrevue avec son chef à qui le journaliste fait miroiter un portrait, elle les guide sur la piste de Farrusco, au péril de sa vie.
En rencontrant le Comandante, Kapuscinski se rend compte que les forces militaires d’Afrique du Sud qui combattent les rebelles rouges, vont franchir la frontière. Le journaliste repart alors sur Luanda pour transmettre la nouvelle à son agence. Il contacte les militaires capables de faire intervenir Cuba dans le jeu. Mais il hésite à livrer cette information à son agence car elle pourrait faire basculer le conflit en alertant les Américains. Puis le reporter doit laisser l’Angola à son destin.
Ce questionnement sur le rôle de témoin ou d’acteur engagé est inspiré des réflexions du journaliste polonais comme l’indiquent les réalisateurs : « Kapuscinski voulait comprendre la guerre pour pouvoir la combattre. Mais paradoxalement, il était aussi fasciné par la nature « romantique » du combat pour la liberté ». De fait le reporter qui a couvert huit guerres, livre un récit intense de sa plongée en Angola, avant de se reconvertir en écrivain après cette expérience.
« Nous n’illustrons pas le livre », avancent De La Fuente et Nenow. « Dans le film, nous rencontrons des gens que Kapuscinski décrit dans le livre. » Ainsi surgissent les témoignages du Comandante Farrusco qui a survécu, comme celui de l’ami Queiroz ou de Alberto, un Angolais caméraman, connu en route. Leur image actuelle se substitue par moments à leur personnage animé, plus jeune, pour étayer les péripéties de Kapuscinski et ses observations de la situation angolaise. 20 minutes de prise de vues réelles prolongent 60 minutes d’animation du conflit de 1975, pour composer un film en relation avec les émotions du journaliste.
« L’écriture de Kapuscinski demande des points de vue divers », justifient De La Fuente et Nenow. « Il a toujours mêlé le reportage, les faits historiques, la poésie, l’allégorie. Nous avons donc juxtaposé l’animation, des visions surréalistes, la fiction avec des faits réels, le style documentaire, les interviews et les images d’archives. » L’emploi de la Motion capture permet de recréer les affrontements, la violence que découvre le journaliste, mais aussi de visualiser ses états d’âme comme l’atmosphère de l’Angola en crise.
Pour « raconter une histoire de la façon la plus immersive possible », les réalisateurs s’appuient sur un rythme vif, des couleurs fortes, la musique originale de Mikel Salas, et un tourbillon d’images spectaculaires. Des effets de style en rapport avec la situation de là colonie portugaise en émancipation selon les deux cinéastes : « L’Angola était à cette époque en plein chaos, un pays où un reporter cède à la fascination tout en étant confronté à la réalité, dans une paranoïa collective, le fameux « confusao » que l’on connaît encore de nos jours dans certains pays. »
Le film se révèle ainsi moins une réflexion sur le sens des conflits en Angola, que sur l’engagement du journaliste, décédé en 2007, et les limites de sa déontologie. Pour les réalisateurs, Kapuscinski « est allé un peu trop loin, se retrouvant au centre du « confusao » au risque de perdre contrôle. » On voit alors comment le film pose la question de la neutralité du reporter qui doit aussi se déterminer au milieu du chaos des guerres, au risque de l’alimenter en essayant de l’enrayer.
Raul De La Fuente et Damian Nenow ont pu mener leur projet ambitieux au terme d’une coproduction internationale, travaillée sur dix avec cinq pays : l’Espagne, la Pologne, l’Allemagne, la Belgique et la Hongrie. Ainsi ils proposent une incursion singulière dans une page de l’histoire en Angola, comme le journaliste l’a fait à l’époque. « Il en tirera une philosophie : se concentrer sur les individus, chercher à les comprendre et leur faire confiance », soulignent les réalisateurs. Une sorte de modèle pour vivre Another day of life…
Michel Amarger