Quand un cinéaste se pique d’écriture, c’est pour mieux dissocier les mots de ses images. Ou peut-être les associer autrement C’est ce que fait avec une jubilation non dissimulée, Jean Odoutan.
On connaît le goût de la formule et de la « com » chez ce cinéaste du Bénin, basé en banlieue parisienne, qui s’est essayé comme comédien puis est devenu Le Réalisateur Nègre. Un titre emprunté à un de ses courts-métrages de 1998, décliné aujourd’hui pour désigner un livre (*).
Soit un récit à l’emporte-pièce sur la production et la confection chaotique de son premier long-métrage, Barbecue – Pejo, 2000, tourné au Bénin à la force du poignet. C’est dire que l’aventure relève de la bravoure pour surmonter un tas d’embûches malgré l’Avance sur recettes, attribué au film par le Centre du Cinéma en France.
Jean Odoutan a toujours monté ses productions à l’arraché, bricolant des projets improbables, des scénarios courts pour faire des longs, des collaborations aléatoires, des tournages à vif, piqués de péripéties allumées. Il aime cadrer des femmes plantureuses, des hommes tranchants ou déphasés, des imbroglios de l’âme noire et de la diaspora où il se plait à paraître au premier plan. Le Réalisateur Nègre brosse lestement son sujet en s’écartant parfois de l’histoire pour revenir au présent, à l’enfance au Bénin, à l’inconfort des foyers Sonacotra, aux rencontres pétillantes, aux expériences qui en découlent.
Au-delà des anecdotes relatées, on trouve au milieu des pages, des photos de tournages, achevés ou encore jamais finis, et même des chansons puisque Odoutan compose des textes et des musiques. Il se rappelle et nous rappelle, l’album qu’il a enregistré, La dent du bonheur (**), en éludant au final, les galères des films qu’il a signé de sa griffe aventureuse : Djib, 2000, Mama Aloko, 2002, La Valse des Gros Derrières, 2004, Pim-Pim Tché –Toast de Vie, 2016, et tous les projets en suspens.
Le Réalisateur Nègre se boit comme un expresso bien servi, assorti d’une ribambelle de situations moussantes, picaresques, d’histoires à la saveur corsée. Jean Odoutan n’a pas la langue dans la poche. Elle est là, bien plantée dans son livre. Langue imagée, turbulente, insolente parfois qui coule comme une source vive. Le Réalisateur Nègre se lit d’un jet, se déguste plein pot.
L’auteur est donc cinéaste, acteur, producteur, scénariste, distributeur mais aussi infatigable animateur pendant une quinzaine d’années du festival Quintessence qu’il a créé au Bénin, et détonateur de L’Institut Cinématographique de Ouidah (***). C’est également un chanteur, dessinateur, communicateur expert qui ajoute ici une corde à son arc déjà bien tendu. La cible, c’est de pouvoir tourner, de pouvoir surmonter les aléas des tournages, de se faire entendre à défaut de se faire écouter. Les fidèles qui le suivent, acteurs et techniciens, sont cités, remerciés, et même encouragés à continuer avec lui.
Défiant les suggestions d’écriture qu’il a reçues, avide de conjurer l’attente insupportable, l’auteur inaugure alors une publication personnelle et autoproduite avec Le Réalisateur Nègre. Car Jean Odoutan est sans doute un médiateur efficace, combiné à un père de famille installé.
Il manie la dérision comme sa caméra, avec une légèreté parfois confondante. C’est aussi un séducteur effronté et décidé, fort d’une assurance intranquille et d’un sens de la débrouille aussi candide que volontaire. Comme en atteste Le Réalisateur Nègre, avec Jean Odoutan, écrire c’est dire, raconter c’est conter. Et pour nous, le compte est bon.
Michel AMARGER
Afrimages / Média France
29 janvier 2022
(*) Le Réalisateur Nègre de Jean Odoutan. Editeur : 45rdlc. 268 pages. Mai 2021.
(**) La dent du bonheur de Jean Odoutan. CD édité par 45rdlc. 14 titres. 2016.
(***) Imaginaires en exil de Daniela Ricci, 2013, film en coproduction avec Canal+ Afrique où l’on écoute entre autres, les réflexions de Jean Odoutan sur son travail.