Les Enfants rouges : des pierres et des lames en Tunisie

LM Fiction de Lotfi Achour, Tunisie / France / Belgique / Pologne, 2024

Sortie France : 7 mai 2025

Le cinéma tunisien fait des détours vers le fantastique avec des films comme Sortilège (Tlamess), 2019, de Ala Eddine Slim, Black Medusa, 2021, de Ismaël et Youssef Chebbi ou Ashakal, l’enquête de Tunis, 2022, de Youssef Chebbi. Mais Lotfi Achour se démarque de cette nouvelle orientation avec Les Enfants rouges. Cette fiction qui a remporté le Tanit d’or aux JCC de Tunis 2024, est « basée sur une histoire vraie » comme l’annonce le générique, renouant avec le réalisme affiché par des auteurs tunisiens réputés même si l’onirisme a toujours une place dans les œuvres du pays.

Lotfi Achour s’est imposé avec des courts-métrages très remarqués à l’international tels Père, 2015, La Laine sur le dos, 2016, ou Angle mort, 2021. Formé au théâtre et à la mise en scène en France où il a monté des spectacles, il s’est associé à Anissa Daoud pour produire des spectacles sur les planches et au cinéma où son premier long-métrage, Demain dès l’aube, 2016, a retenu l’attention. Et c’est avec elle que Lotfi Achour a pu monter une coproduction solide avec la France et le concours de Belges, de Polonais et de Suisses pour réaliser Les Enfants rouges, une fiction ambitieuse avec un budget conséquent.

 

Le récit commence en soulignant l’amitié de deux garçons bergers, Achraf, 13 ans, et son cousin Nizar, un peu plus âgé. Ils poussent leurs chèvres dans la montagne, franchissent les barbelés pour aller dans des zones interdites, là où il y a de l’eau mais aussi des Djihadistes. Nizar guide leur périple et leurs échanges jusqu’à ce qu’ils soient attaqués par surprise. Nizar est brutalement tué et décapité.

Achraf est chargé de rapporter la tête de son cousin à sa famille pour servir d’exemple. Choqué, le garçon accomplit sa mission, et se rapproche de leur cousine avec qui ils jouaient à trois. La mère de Nizar veut enterrer son fils avec le corps, resté dans la montagne. Alors les hommes se mettent en route, guidés par Achraf.  Peu à peu la menace des terroristes produit son effet. Les tensions irriguent la montagne et remettent en question la cohésion de la famille.

 

L’histoire qui a inspiré le film de Lotfi Achour a causé un choc en Tunisie, en 2015, renforcé par des reportages télés insistants et l’émotion manifestée par la mère du défunt puisque l’aîné de ses enfants a aussi été assassiné par les terroristes, quelques années après. Mais le cinéaste qui a développé son scénario avec Doria Achour, sa fille, Natacha de Pontchara, sa première compagne, et Sylvain Cattenoy, traite son sujet dramatique avec des envolées oniriques qui aèrent le récit. Ainsi Achraf est accompagné par le fantôme de son cousin qui l’aide à accomplir sa mission macabre en l’apaisant.

Des flashbacks lumineux sur leur jeux, à deux ou à trois avec leur cousine, ponctuent le déroulement de l’action. La présence des montagnes tunisiennes, vues de loin comme un environnement grandiose, où de plus près comme un amas de cailloux aride, offre un cadre spectaculaire aux péripéties des héros. Sans occulter la menace des mines enterrées, ni celle des Djihadistes dont l’image apparait comme une ombre floue, le réalisateur sait suggérer la violence et la mort qui rôdent, pesant sur la quiétude du monde paysan.

 

Les Enfants rouges dépasse l’évocation de l’action des terroristes pour aborder l’émotion du héros confronté au deuil, conduit à trouver en lui-même les ressources morales et physiques pour traverser cette épreuve. Autour de lui, on remarque une grand-mère éprouvée, un frère aîné dépassé et révolté qui essaie de reprendre la situation en main, un oncle venu tardivement de la ville comme un protecteur, une cousine studieuse qui essaie de tracer sa voie. La communauté familiale se révèle et tente de se souder pour faire face au mauvais sort.

L’histoire est portée par tous les acteurs dont le jeune Ali Helali qui joue Achraf, et Yassine Samouni qui campe son cousin Nizar. On sent que Lotfi Achour, familier des troupes de théâtre, a su fédérer ses comédiens autour de son projet. L’appui du directeur de la photo, Wojciech Staron, permet de développer de multiples points de vue sur les enfants en montagne, de jouer de la profondeur de champ dans les échanges, en magnifiant les vastes paysages des reliefs de la Tunisie où le soleil est souvent voilé.

 

Ainsi Lotfi Achour conjugue les talents pour faire œuvre de mémoire mais aussi de réflexion sur les menaces terroristes. A partir d’un fait tragique, il évoque la pauvreté du monde paysan en Tunisie, l’attrait de l’argent qui en découle et fait braver les dangers, les tentatives de récupération par les autorités et les journalistes, la puissance du destin qui pèse sur les êtres. La clarté des images, la précision des cadres, l’engagement des acteurs, amplifient la solidité d’un scénario implacable.

Car Les Enfants rouges souligne la force des sentiments mais aussi la nécessité d’avancer pour progresser, de s’éloigner parfois des chemins tracés pour survivre. Il manifeste aussi l’inquiétude de Lotfi Achour face à la montée en puissance des fondamentalistes dans les pays arabes. Mais le film est encore un chant d’amour à la terre tunisienne, et un regard sur l’enfance que la violence du monde peut terrasser.

Vu par Michel AMARGER (Afrimages / Médias France)

Author: Michel Amarger

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