L’Effacement : affronter le passage de générations en Algérie

LM Fiction de Karim Moussaoui, France / Allemagne / Tunisie, 2025

Sortie France : 7 mai 2025

Les auteurs algériens se démarquent de leurs aînés en interpellant le rôle des anciens dans leurs fictions. Karim Moussaoui adopte ainsi L’Effacement, un roman de Samir Toumi, édité en 2016. « J’ai tout de suite été touché par une question qui me taraude, celle du rapport intergénérationnel en Algérie que j’avais commencé à aborder dans En attendant les hirondelles », déclare le cinéaste, apprécié pour ce premier long-métrage, représentatif d’un nouveau courant de fictions algériennes.

 

L’Attachement suit l’évolution de Reda, qui vit avec son frère et son père. Ce dernier le pousse à suivre ses injonctions : accepter un travail dans la société où il évolue, se marier rapidement pour fonder une famille. Alors Reda quitte sa place pour reprendre celle de son père, et surveiller les collègues qui veulent l’évincer. Son frère résiste et part tenter sa chance de musicien à Paris. Une nouvelle direction s’impose au bureau et Reda doit accomplir son service militaire. L’expérience est rude et révélatrice de ses instincts destructeurs.

C’est alors que Reda apprend la mort de son père, poussé à la retraite.  Il n’est pas prêt à assurer la suite. Sa violence éclate face à sa fiancée avec qui il rompt brutalement. Tandis que son image disparait des miroirs, Reda fait un break dans le désert. Malika, une femme rencontrée le trouble, l’attire. Mais il doit regagner son identité en laissant s’exprimer son ressentiment et ses pulsions vengeresses.

 

En s’inspirant du roman de Samir Toumi, Karim Moussaoui en livre une adaptation assez libre. Il conserve les éléments de base, l’entreprise du père, la fiancée de Reda, mais il situe l’escapade dans le désert plutôt qu’à Oran, et fait vivre le père jusqu’au milieu du film. En ajoutant la formation militaire et en poussant l’épilogue vers la violence, le cinéaste s’attache pourtant à évoquer l’esprit du roman comme il l’indique : « Samir Toumi parle du statut quasi sacré des parents au sein de la société algérienne, des frustrations qu’un jeune homme ou une jeune femme peuvent ressentir à force de se soumettre aux injonctions d’obéissance ».

Le récit linéaire du film souligne que la perte du pilier paternel déséquilibre le profil docile et soumis d’un fils. « Reda réalise que tous les privilèges dont il a pu jouir jusque-là, il les tenait de son père, et de lui seul », commente Karim Moussaoui. Il dévoile les capacités destructrices du héros à l’armée, le jette dans le désert pour une remise en cause, esquissée par sa rencontre avec une jeune femme, Malika, mais qui ne suffit pas à lui faire affronter sa remise au placard dans son travail.

 

L’Effacement trouve son sens lorsque l’image de Reda ne se reflète plus dans les miroirs qui l’entourent. « Mon film dit une chose très simple : il ne faut pas abîmer les gens, car ensuite c’est trop tard, personne ne pourra plus les récupérer », estime le cinéaste qui offre à Sammy Lechea un premier rôle, et emploie Zar Amin pour figurer son amoureuse, surgie du désert. D’autres acteurs algériens qui jouent les seconds rôles, complètent plus subtilement leurs prestations. Mais L’Effacement n’a pu être filmé en Algérie où l’Etat s’est désengagé de la production cinéma depuis l’époque du Covid.

Les intérieurs et des scènes de bureaux ont été tournés à Marseille et l’épisode de l’armée puis celui du désert avec Malika, ont été organisés près de la frontière tunisienne. Car le film est d’abord une production française avec le concours de la Tunisie même si Karim Moussaoui aborde la situation de l’Algérie : « Je raconte ce qui peut arriver lorsqu’on a été longtemps victime d’une violence quotidienne qui ne dit jamais son nom, quels drames peuvent se produire quand on n’est à aucun moment en position de décider pour soi-même, quelles conséquences terribles peut avoir le respect aveugle de l’ordre moral établi, avec ses injonctions à se taire et à plier ».

 

Ce propos profond et engagé retient l’attention. Mais il semble altéré par une narration prévisible, quelques incohérences dans le scénario et des changements de ton et de registres, notamment dans l’armée, au désert, et dans le bureau de Reda. Ces partis-pris affectent la cohérence du film. En effet, Karim Moussaoui qui s’est imposé avec ses premiers courts-métrages plus subtils dont Les jours d’avant, 2013, louvoie ici entre plusieurs styles, un peu de thriller, du drame politique, de la romance, sans que le jeu des comédiens principaux puissent convaincre. Le film paraît ainsi comme une histoire prête à susciter les questionnements, mais évidée d’un sens dont « l’effacement » serait un signe prémonitoire.

Author: Michel Amarger

Share This Post On

Submit a Comment

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.