Les ondes de l’Afrique ponctuent la clôture de la section ACID Cannes 2019 (*) avec une production française inédite et insolite :
Le cœur de l’Afrique, ce sont sans doute ses esprits, ancestraux et puissants, qui orientent les hommes vers le bien ou le mal. Cette croyance, particulièrement forte en République du Congo, inspire aujourd’hui une production française, tournée en pleine capitale. Kongo est une plongée habitée dans l’action des sorciers. Un film qui s’appuie sur l’observation d’une réalité, affirmée par les auteurs comme un point de départ : « A Brazzaville, aucune sphère de la société n’échappe à l’enchantement et à la magie. »
La figure centrale de Kongo est l’apôtre Médard. Il s’inscrit dans le milieu des ngunzas, une confrérie de guérisseurs traditionnels, et officie à Brazzaville. On le voit pratiquer dans son temple en chassant les mauvais esprits par des méthodes rudimentaires mais savantes. Il les extrait du corps des possédés par un mauvais sort, il les piège volontiers dans des bouteilles en verre. L’évocation de ses activités oblique quand il est impliqué dans un procès après avoir soigné une femme dont la maison et les enfants ont été victimes d’esprits destructeurs, sans le consentement du mari.
Le guérisseur se retrouve sur le banc des accusés et il doit se disculper en se débarrassant des esprits néfastes. Il va alors visiter son maître, fatigué et malade, qui peut le soulager en contrepartie de la sauvegarde des sirènes protectrices qui peuplent le fond des eaux. Celles-ci sont importunées par la carrière qu’exploitent des Chinois tout près du lieu où elles séjournent. L’apôtre Médard tente d’accomplir sa mission après la disparition du maître. Il se fait confectionner une tenue de circonstance et part à la recherche d’une cascade détournée par les Chinois, pour remettre l’esprit des sirènes dans leur élément originel.
Au fil de ces scènes spirituelles, on comprend que les réalisateurs basculent du documentaire vers le conte. « « Derrière l’omniprésence du merveilleux se cache un aspect plus inquiétant : celui de la sorcellerie », relèvent-ils. Et pour aborder ce milieu, ils prolongent la trajectoire de leur héros, l’apôtre Médard, par une mise en scène calculée. « En ouvrant son temple à notre caméra », expliquent les cinéastes, le sorcier charismatique « allait devenir le personnage central du film. » Celui-ci se révèle parfois méfiant envers l’objectif avant de prendre le dessus par son jeu.
Les réalisateurs abordent ainsi des pratiques traditionnelles exercées par les ngunzas, comme pour en sacraliser l’expression et les regarder avec la distance d’une fable qui se développe. Les images soigneusement captées par Hadrien La Vapeur, les sons exacerbés par Corto Vaclav, et la musique de Gaspar Claus accentuent l’aspect onirique des situations même si les auteurs pointent les ravages véridiques de l’exploitation des sols par les Chinois. Car les deux cinéastes se sont associés pour explorer les réalités congolaises depuis 2015.
Hadrien La Vapeur, d’abord assistant de Philippe Garrel, pratique du cinéma expérimental tout en étant attiré par la transe et la vie des esprits. Sa rencontre avec Corto Vaclav, anthropologue, les conduit à fonder leur label, Expédition Invisible, pour produire des œuvres documentaires à la radio et la télévision. Kongo, leur premier long-métrage, déborde l’approche réaliste pour alimenter une fable dans la lignée des histoires imaginées par Jean Rouch avec ses complices africains. Mais ici les réalisateurs tentent une percée singulière dans le domaine des esprits congolais. Une drôle de cérémonie sur grand écran qui pourrait captiver si les bons esprits sont favorables à Kongo.
(*) La 27e édition de l’ACID Cannes a lieu du 15 au 24 mai 2019, parallèlement au Festival international du film. Elle comprend 9 longs-métrages dont 7 premières œuvres. La sélection est effectuée par des cinéastes membres de l’association, parmi des longs-métrages français et étrangers, souvent indépendants, dont la distribution peut être fragile.
LM Documentaire de Hadrien La Vapeur et Corto Vaclav, France, 2019, Diffusion ACID Cannes 15 au 24 mai 2019
Vu par Michel AMARGER(Afrimages / Médias France)