La sortie française très discrète de Frontières, réalisé par Apolline Traoré, vient rappeler que le cinéma burkinabè résiste et persiste. Après le faste des années 90, entrainé par les films de Idrissa Ouedraogo, Pierre Yameogo, Mustaphe Dao, Regina Fanta Nacro, le flambeau est entretenu aujourd’hui par des réalisateurs comme Missa Hébié, Adama Roamba et de plus loin par Dany Kouyaté. L’action de Apolline Traoré qui est aussi productrice, se déploie en faveur des femmes comme on l’a vu avec ses longs-métrages, Sous la clarté de la lune, 2004, et Moi, Zaphira, 2013. Cette fois, elle élargit son regard en lançant quatre femmes sur les routes d’Afrique de l’Ouest, avec Frontières, 2017.
Le voyage commence au Sénégal pour gagner le Mali, le Burkina Faso, le Bénin puis le Nigéria. Adjara, la Sénégalaise, est mandatée par sa communauté pour y faire des achats et lancer leur entreprise. En chemin, elle rencontre Emma, une Ivoirienne, qui pratique le commerce de pagnes, en les cachant pour les vendre à meilleur prix à Lagos. A leur côté, Sali, Sénégalaise, transporte à son insu des médicaments trafiqués que lui a confié l’homme qui prétend l’épouser. Et Micha, venue d’une autre culture, veut régler des comptes en famille.
Les femmes se rapprochent au cours des péripéties du voyage, en se confiant leurs problèmes, leurs espoirs, leurs objectifs. Adjara (Amélie M’baye) est une femme d’affaires trop généreuse et naïve selon Emma (Naky Sy Savané), d’abord hautaine puis conciliante en dévoilant ses blessures. Sali (Adizétou Sidi), victime de ses sentiments, apprend à résister et à s’affirmer tandis que Micha (Unwana Udobang) tient sa place et la défend jusqu’au bout. A chaque passage de frontière, il faut s’opposer aux douaniers cupides, aux rackets, aux abus sexuels, aux accidents et même aux braqueurs qui sévissent sur les routes.
Apolline Traoré signe un récit rythmé par les passages entre les Etats, dénonçant les embûches qui freinent la circulation des citoyens et des biens. « Les frontières sont le théâtre de tous les dégoûts pour les populations », affirme t’elle. « Ce film fait surtout état des dangers permanents, présents sur les routes transfrontalières, causant des souffrances énormes aux populations. » La cinéaste défend ainsi la politique de la Communauté Economique Des Etats de l’Afrique de l’Ouest, la CEDEAO, organisation intergouvernementale crée en 1975, qui devrait favoriser les échanges. « De nombreux citoyens se laissent abuser par les autorités malveillantes parce qu’ils ne connaissent pas leurs droits », s’insurge Apolline Traoré, en voulant conscientiser.
Son propos s’appuie sur le comportement des quatre héroïnes qui bravent les obstacles comme le souligne la réalisatrice : « Aussi différentes par leurs origines que par leurs appartenances religieuses et culturelles, ces femmes ont fait preuve durant tout le parcours d’une solidarité et d’une union remarquables, veillant les unes sur les autres, elles auront exprimé et illustré les notions fortes de solidarité et de complémentarité, grands symboles chers à la CEDEAO. » Les figures féminines, défendues avec ténacités par les actrices, particulièrement Naky Sy Savané en commerçante nerveuse, agrémentent le message cultivé par Apolline Traoré.
Elle propose un spectacle attrayant, édifiant, grâce à l’appui d’une équipe technique efficace. Mais la lumière claire du début s’estompe pour finir dans le gris. Et c’est lors d’un long monologue de conclusion, énoncé en voix off pour expliquer le sens du combat des femmes, que le film s’alourdit d’un poids didactique superflu. Puis la dernière séquence enfonce le clou en illustrant la vengeance symbolique de la plus jeune protagoniste.
Frontières se dévoile alors comme une fiction réfléchie, presque pédagogique malgré ses belles séquences et ses envolées. « J’ai décidé de faire ce film pour montrer les combats de la femme africaine mais surtout de démontrer que les choses peuvent changer à une plus petite échelle », renchérit la réalisatrice. Comme ses personnages, elle a mené une rude bataille pour boucler la réalisation du film, produit avec des fonds locaux, renforcés par des moyens venus du Sénégal, de France, d’Allemagne… Et c’est en dépassant les frontières que Apolline Traoré vient affirmer la persistance du cinéma burkinabè, et celle de ses artistes.