Une professionnelle tenace du cinéma algérien nous quitte. La disparition de Yamina Bachir Chouikh, le 3 avril 2022 à Alger, au terme d’une longue maladie, ponctue un parcours dédié à l’essor du 7ème art en Algérie.
Yamina Bachir, née à Alger, en 1954, assiste aux premiers élans de l’indépendance qui entraînent aussi ceux du cinéma national. En 1973, elle intègre le Centre Algérien pour l’Art et l’Industrie Cinématographique, le CAAIC, où elle se perfectionne en occupant des postes divers sur les productions étatiques. Elle participe à des tournages importants en tant que script dont le novateur Omar Gatlato de Merzak Allouache, 1976, et le puissant Vent de sable de Mohamed Lakhdar-Hamina, 1982.
Sa maîtrise du montage s’affine avec les films de Mohamed Chouikh dont elle est l’épouse. C’est avec lui qu’elle supervise et monte La Citadelle, 1989, Youcef ou la légende du septième dormant, 1993, L’Arche du désert, 1997, Douar de femmes, 2005. Elle travaille aussi sur Le Cri des hommes de Okacha Touita, 1994. Des films qui brillent dans la filmographie algérienne, devenue plus fragile dans les années 90. Le couple qu’elle forme avec Mohamed Chouikh participe ainsi au rayonnement du pays à l’étranger où leurs films sont largement diffusés.
Mais Yamina Bachir Chouikh est une femme résolue, décidée à braver la décennie noire qui déchire l’Algérie entre 1991 et 2002. Elle mûrit patiemment le scénario de son premier long-métrage de fiction, Rachida. Le récit s’enchaîne comme une tragédie implacable en traitant le terrorisme qui frappe l’Algérie. L’héroïne, institutrice, est visée et atteinte par un ancien élève auquel elle résiste pour survivre. Le film est remarqué au Festival de Cannes 2002 dans la section Un certain regard, imposant Yamina Bachir Chouikh comme une réalisatrice qui fait choc.
Après ce lourd et saillant combat contre la violence, elle enchaîne avec un court documentaire, Louisa Si Ammi, 2003. Un portrait de la photographe algérienne, engagée et turbulente qui témoigne de son attachement aux mouvements sociaux de l’Algérie. Puis la cinéaste exalte la lutte des femmes qui ont participé à l’émancipation du pays en combattant pour son indépendance, avec un documentaire plus long : Hier… aujourd’hui et demain, 2010.
Elle se consacre ensuite à sa famille avec son mari, Mohamed Chouikh, qui rêve toujours de cinéma, leur fille, Yasmine Chouikh, qui devient elle aussi, réalisatrice et signe Jusqu’à la fin des temps, 2017. La détermination de Yamina Bachir Chouikh puise dans cette tribu de cinéma la force d’affronter les problèmes qui entravent le développement de la production de films en Algérie.
Reconnue comme une femme d’images à la parole aiguisée, ardente et volubile, elle n’esquive aucun débat. Et ses prises de position critiques sur la politique de l’Algérie résonnent à l’international lorsqu’elle accompagne ses films. Au pays, ses actions déterminées servent de référence. Aujourd’hui, ses colères légitimes, ses éclats de rire, ses mots amicaux nous font défaut.
Michel AMARGER
Afrimages / Média France, 4 avril 2022