En sortie le 20 février2019 dans les salles françaises, ce long métrage documentaire de Mohamed Siam suit sur six années les pas d’une jeune révoltée jusqu’à ses vingt ans : une vision de l’Egypte post-révolutionnaire.
La diversité des approches documentaires s’accentue en Egypte. Après avoir filmé les mouvements de foule de la Révolution en 2011, puis les groupes politiques et religieux impliqués dans l’organisation du pays, des cinéastes concentrent leurs objectifs sur des citoyens marquants. C’est le cas de Amal, 2017, un portrait signé par Mohamed Siam, centré sur l’évolution d’un jeune révoltée, saisie sur six ans.
A l’origine, en 2011, le réalisateur tourne son premier documentaire, Force majeure, sur un groupe de hooligans de 15 ans, fans de football. C’est là qu’il remarque Amal, une adolescente de 14 ans, petite et décidée, portant sweat-shirt et cagoule comme un garçon. Mohamed Siam mène alors de front son documentaire sur le groupe de supporters machistes, qui le fait connaître dans les festivals en 2016, tout en suivant Amal jusqu’à ses 20 ans.
Amal est une effrontée qui défie la police pendant les manifestations. Elle court dans les rues, tient tête aux garçons et crie son rejet du système. Une revendication aiguisée par la mort de son petit ami au cours d’une émeute. En grandissant, Amal s’applique à ses études sans cesser de courir sur un stade d’entraînement. Elle vit l’élection de Mohamed Morsi en 2012, sa destitution en 2013, les manifestations ambiantes, l’élection massive de Abdel Fattah al-Sissi en 2014, la répression de la commémoration de la Révolution en 2015, comme la libération de Hosni Moubarak en 2017.
La croissance de’Amal s’effectue ainsi dans un contexte politique en évolution jusqu’à ce que le pouvoir militaire verrouille la société égyptienne. La jeune femme est alors tentée de porter le voile pour célébrer des rites familiaux puis de participer de l’intérieur au fonctionnement du pays, en désirant son bébé et fonder son foyer. Entre-temps des images de l’enfance, prises par le père de Amal, pimentent le portrait d’une fillette déjà décidée, obstinée, joueuse et vive.
« C’est un film intimiste, qui ne devait pas parler de politique en premier lieu. La politique, devait venir après », indique Mohamed Siam qui puise dans les vidéos de famille, tournées par le père avant sa mort, pour montrer le caractère frondeur de la petite Amal. « C’était la première fois qu’elle voyait les images de son enfance », rapporte le cinéaste. « J’ai filmé le moment où elle regarde les images, émue. » Cette émotivité est l’un des ressorts d’Amal qui revendique obstinément de la justice et de l’égalité pour faire avancer le pays après la Révolution.
« On a commencé sur des notes d’espoir, très utopistes. Petit à petit, c’est devenu la dégringolade et la désillusion », observe Mohamed Siam. Il accompagne l’érosion de la fougue de la jeune fille, en butte aux restrictions du régime. « Au début, Amal était très enthousiaste à l’idée de faire ce film », relève le réalisateur. « Plus la politique bougeait et plus Amal devenait prudente et me mettait en garde sur le fait que la scène politique n’était plus la même et que nous ne pouvions plus faire tout ce que l’on voulait. »
La maturité d’Amal, nourrie de ses douleurs, ses combats, la perte de son amoureux, de son père, s’inscrit en résonance à la situation de l’Egypte. L’enjeu semble alors de s’intégrer sans se renier. « Elle arrive toujours à trouver sa place malgré la présence de l’armée, des Frères musulmans, de la dictature, etc. Et pourtant ce n’est pas facile », note Mohamed Siam qui cadre son héroïne, au fil des tournages périodiques, jusqu’à ce qu’elle aspire à passer un concours pour intégrer la police.
« La résistance est toujours là mais elle prend juste une forme différente. Elle a trouvé son chemin seule : sans figure paternelle pour la soutenir, sans héros, sans éducateur. Pour moi c’est très fort », analyse le réalisateur, intéressé par le fonctionnement de l’Etat policier via son père qui était inspecteur. « Elle a été violentée par la police, elle n’avait que de la haine à leur égard et aujourd’hui, elle va rejoindre les forces de l’ordre. C’est bouleversant mais c’est ce qu’elle se devait de faire. »
Son admiration respectueuse pour le parcours de’Amal a poussé le cinéaste à motiver des coproducteurs divers en leur montrant quelques images convaincantes de son héroïne en croissance. Financé par des fonds venus d’Egypte, du Liban, d’Allemagne, de France, de la Norvège, du Danemark et le concours du Qatar, il propose de regarder une femme fière, plongée dans les turbulences de l’Egypte pendant six ans. « Les circonstances ont changé. Pas Amal », estime Mohamed Siam. Employant le documentaire pour toucher et alerter, il souffle : « On doit s’inquiéter pour Amal et pour sa génération. »
Vu par Michel AMARGER (Afrimages / Médias France)