Le 71ème festival de Cannes (8 au 19 mai 2018) donnait cette année une réelle visibilité aux cinémas d’Afrique et de ses diasporas. Une dominante qui se cherche encore : dépasser le réalisme pour traiter par l’intime des problématiques contemporaines.
La volonté déclarée du festival de Cannes de donner une place aux imaginaires et vécus africains ou diasporiques et le tri effectué par le plus grand festival du monde (quand il ne se concentre pas seulement sur les « films à message ») nous encouragent chaque année à mettre les films sélectionnés en perspective pour tenter de dégager des tendances. Tous étaient cette année de bon niveau, sans qu’aucun ne s’impose véritablement comme un chef d’œuvre. Sans doute manquait-il pour cela la science des ellipses et des arcanes que savent développer aujourd’hui les cinémas asiatiques. Sans doute cette limite est-elle liée à la question du réel, « le cœur et le corps des films » tel que le décrivait Gaston Kaboré.
Au-delà du réalisme
Aucun film n’était à proprement parler réaliste, au sens où il se voudrait une représentation brute du quotidien, mais tous témoignaient d’un souci d’ancrage dans le conditionnement social. Travaillés par la violence et les exclusions qui agitent leurs sociétés, les cinéastes ont choisi de défendre la tolérance envers les exclus : les lépreux dans Yomeddine de l’Egyptien Abu Bakr Shawky (seul premier long métrage en compétition officielle), les lesbiennes dans Rafiki de la Kenyane Wanuri Kahiu (Un certain regard, film aussitôt interdit au Kenya), les mères célibataires dans Sofia de la Marocaine Meryem Benm’Barek (Un certain regard), les migrants dans des films français comme Amin de Philippe Faucon (Quinzaine des réalisateurs) et Libre de Michel Toesca (Séance spéciale hors compétition), documentaire sur le difficile soutien aux migrants qui tentent de passer d’Italie en France en bord de Méditerranée. Cependant, pour toucher leur public mais aussi le reste du monde, les cinéastes transcendent le réalisme pour explorer l’intime. C’est ainsi que dans Mon cher enfant (Weldi, Quinzaine des réalisateurs), le Tunisien Mohamed Ben Attia s’attache au bouleversement d’un père dont le fils part pour s’engager dans le djihad en Syrie. Ou que le Sud-Africain Etienne Kallos décrit dans Les Moissonneurs (Un certain regard) le trouble qu’apporte l’adoption d’un enfant déviant dans une famille traditionnelle afrikaner. Même Spike Lee dans BlackKkKlansman, biopic sur un agent de police noir qui infiltre le Ku Klux Klan en 1978 (Grand Prix du jury au palmarès de la Compétition officielle), situe délibérément cette histoire ancienne dans la continuité de la lutte des Noirs américains et dans le combat actuel contre les dérives de Trump.