Ce long métrage documentaire du Sénégalais Alassane Diago (2018) sort sur les écrans français le 20 février 2019. Un regard très personnel sur la question de l’exil et de l’émigration, qui fait suite à « Les Larmes de l’émigration » et « La Vie n’est pas immobile ».
La question de l’exil et de l’émigration traverse de manière récurrente les productions africaines. Le Sénégalais Alassane Diago s’est fait connaître en abordant le sujet sous l’angle de l’intime avec Les Larmes de l’émigration, 2010, cadrant l’attente de sa mère face au départ du père, absent depuis plus de 20 ans. Elargissant le propos à la communauté des femmes qui restent seules au pays, et s’organisent, il signe La Vie n’est pas immobile, 2012, puis prolonge son questionnement familial dans Rencontrer mon père, 2018. Il s’agit de se confronter à l’image du père, exilé dans un autre pays, en le retrouvant et le filmant pour comprendre.
« Les sécheresse des années 1970 et 1980 ont donné naissance à de fortes migrations dans la région du Fouta, nord-est du Sénégal », rappelle Alassane Diago. « Dans l’espoir de trouver une vie meilleure, les hommes sont presque tous partis. Parmi eux, mon père. » Le manque de cette figure paternelle, perdue de vue pendant près de 30 ans, pousse le cinéaste sénégalais à exorciser le mal par le cinéma. « En 2013, je suis entré en contact avec lui », explique-t-il. « Il se trouve au Gabon, un pays d’Afrique Centrale, plus précisément dans une province qu’on appelle Lambaréné. Il y a refait sa vie. J’y ai des frères et sœurs. »
Rencontrer mon père cristallise les retrouvailles du réalisateur avec son géniteur. Au début, il montre l’espoir têtu de la mère sur le retour de son époux, son fatalisme, les recommandations qu’elle donne à son fils pour le voyage, assorties de talismans protecteurs. Et presque sans transition, on découvre la modeste habitation du père au Gabon, avec sa nouvelle épouse, ses deux filles et ses deux garçons. L’homme s’est senti humilié lorsque la télévision gabonaise a diffusé Les Larmes de l’émigration, exposant son départ et l’abandon de liens avec sa famille sénégalaise.
Entre les scènes de son quotidien, rythmées par les soins à son petit troupeau de chèvres, les prières à la mosquée, le réalisateur pose la caméra face à lui pour saisir ses sentiments, ses réponses, et son éventuel repentir. Le fils étire les plans pour faire surgir la parole, révélant l’embarras du père, ses difficultés financières, sa responsabilité esquivée, mais aussi son amertume d’avoir à se confronter à la quête affective et cinématographique de son enfant.
Alassane Diago avance ses questions brûlantes, et dérangeantes, sans faillir. Il les retient comme pour mieux les placer, à bon escient, dans les silences gênés du père. Celui-ci se livre à la caméra avec mesure, laissant poindre les limites de sa disponibilité pour l’enregistrement tout en s’offrant de front, face à l’objectif, comme pour tenter de restaurer son image. Ainsi s’établit un jeu père fils qui évoque en arrière-plan, les problèmes économiques que connaissent des états africains aussi différents que le Sénégal et le Gabon.
« Il fallait prendre en compte toute cette situation », souligne Alassane Diago en posant sa caméra avec attention, pudeur et fermeté. Le séjour chez le père qui dure un mois et demi, est aussi l’occasion de connaître sa nouvelle femme et d’établir un dialogue parfois difficile avec ses enfants gabonais. Ils témoignent de la dureté du patriarche, plus occupé à l’entretien de ses chèvres que d’échanger avec eux.
En tentant de filmer l’indicible, la communication distordue mais possible, Alassane Diago affirme aussi sa maîtrise de la caméra. Ses plans patients, ses images de la cour paternelle, zébrées par des scènes d’orages dans la nuit, aèrent les face-à-face tendus. Rencontrer mon père paraît ainsi clore (provisoirement ?) une trilogie, produite avec le concours de sociétés françaises, tissant un lien entre les pays, les continents.
Alassane Diago utilise la caméra comme un vecteur d’interrogation sur son vécu mais aussi sur le pouvoir de son art, apte à faire évoluer les relations et à incarner une image enfuie. Présent par sa voix, son regard braqué sur le réel, le cinéaste sénégalais s’inscrit aussi corporellement dans la scène finale, semblant instaurer une cellule familiale renouvelée et assumée. Rencontre accomplie en forme de double reconnaissance.
Vu par Michel AMARGER (Afrimages / Médias France)