Une table-ronde réunissait le 9 décembre 2020 lors des 4e Rencontres du cinéma francophone en Afrique (organisées par Unifrance durant le festival Dakar court 2020) exploitants et distributeurs sur la question de l’exploitation en Afrique : les multiplexes, les salles mono-écrans et celles de l’Institut français. Une telle table-ronde avait déjà eu lieu en 2019, mais en cette année si particulière, un nouvel acteur permet d’élargir cet état des lieux à la distribution sur le continent africain des films américains, français et africains. Elle est modérée par Jean-Christophe Baubiat, chargé des pays francophones à Unifrance.
1) Focus Sénégal
Hugues Diaz, directeur de la cinématographie sénégalaise : Les salles sont fermées du fait des dispositions draconiennes dans les établissements recevant du public pour lutter contre la pandémie. Le ministère de la Culture n’a pas encore obtenu la réouverture. Les décideurs ont des raisons qui ne sont pas toujours aisées à saisir. J’invite à de grandes coalitions : nous aurions plus de poids. Il faut expliquer. Sinon, un plan de relance et d’appui est à l’étude, et les engagements sont respectés. Il faut être innovants : on voit ainsi des drive-in apparaître. Le web offre beaucoup de potentialités.
Khalilou Ndiaye, directeur de Digital cinéma, en charge de la rénovation de plusieurs salles : Les salles ont fermé au Sénégal dans les années 90 et celles qui ont réussi à résister sont dans un état assez piteux. Depuis, 2018, dans le cadre du FOPICA, trois salles ont été éligibles pour la rénovation et la modernisation. Certaines ont commencé les travaux, dont le cinéma Medina que je dirige. Cela fut retardé du fait de la loi de finance rectificative qui a bloqué les fonds. Cela nous a mis en difficultés car j’ai dû interrompre les travaux et la salle est fermée depuis deux ans. Nous espérons ouvrir au mois de mai 2021.
Moustapha Samb, directeur du cinéma Pathé Dakar : en 2005, nous avions assisté à la fermeture de la dernière salle commerciale au Sénégal, le Paris. Il ne restait plus que la salle de 114 places de l’Institut français, dont je me suis occupé. Les acteurs se sont mobilisés pour amener le cinéma vers le public, notamment ambulant. Nous avons maintenant deux salles en activité à Dakar : CanalOlympia et le complexe Sembène Ousmane. Pour le complexe Pathé, on en est aujourd’hui à 70 % d’exécution des travaux, en lien avec Frédéric Godefroid, directeur des opérations Afrique de Pathé. Ce sera un multiplexe de sept salles, équipées avec une technologie laser ultramoderne, offrant le même confort que les autres cinémas Pathé dans le monde. Sur 5000 m2, la circulation sera fluide. L’ouverture est prévue en mai 2021 après le ramadan.
2) Exploitation cinématographique en Afrique francophone
Jean-Christophe Baubiat : Émilie Boucheteil, directrice cinéma à l’Institut français, n’a pu faire le déplacement mais peut-être pouvez-vous nous présenter le réseau de salles, lesquelles ont pu être numérisées grâce à l’aide du CNC sous la coordination du comité de pilotage regroupant l’Institut français, le CNC, le ministère des Affaires étrangères et Unifrance.
Moustapha Samb : A l’époque de la fermeture des salles, l’Institut français a maintenu l’offre cinéma et l’enjeu était effectivement de changer les équipements pour aller vers des projecteurs numériques DCP. Le réseau comporte sept salles en Afrique francophone ainsi équipées. D’autres projets de numérisation sont en cours.
Séraphine Angoula, directrice de CanalOlympia : Notre offre est complémentaire : nous ne sommes pas focalisés que sur le cinéma. C’est un vrai vecteur de croissance et un produit d’appel mais on s’occupe aussi d’événements culturels variés comme des concerts. On avait prévu 1 à 1,2 million d’entrées en 2020 mais il nous a fallu fermer en mars les 16 salles du réseau (dans 12 pays). Les sites ont rouvert progressivement au mois de juin selon les directives sanitaires. Aujourd’hui, 11 salles sont en activité sur les 16 et on a pu ouvrir une salle au Nigeria et une autre à Kigali. La chute de fréquentation a été de 75 % à la réouverture en juin : l’offre était inférieure et les gens avaient encore des réticences à sortir. En octobre, la chute était de 36 % par rapport à 2019. On maintient une jauge limitée et le port du masque obligatoire pour maintenir les gestes barrières dans tout le réseau, même si le pays ne l’impose pas. Un escape game (lieu où l’on doit résoudre des énigmes en groupe) a ouvert à Cotonou (ou on teste aussi les laser games) et un autre est en travaux à Dakar. On teste aussi la restauration light ou en restaurant. On a aussi des terrains de sport et de golf. CanalOlympia est donc une offre de loisirs globale. Sur Dakar, on a refusé beaucoup de monde pour La Reine des neiges en décembre : on va donc développer deux autres sites sur Dakar, et on va développer des multi-écrans de 3-4 salles dans les pays où ça marche bien.
Jean-Christophe Baubiat : Vous changez donc votre modèle économique !
Séraphine Angoula : Pathé arrive, faut s’adapter ! (rires) Dans une capitale où il y a trois salles de cinéma, il n’y a pas de concurrence. Cela diversifie l’offre et cela crée une vraie dynamique culturelle dans certains quartiers.
Moustapha Samb : Dans les années 80, Dakar disposait d’un parc d’une quarantaine de salles de cinéma.
Jean-Christophe Baubiat : La présence de salles pousse à produire localement. Quels films ont le mieux marché à l’été 2020 ?
Séraphine Angoula : C’était un contexte défavorable où il fallait rassurer les gens, faire beaucoup de pédagogie. Tout simplement noir a créé de la curiosité et bien marché. Tenet et Mulan ont aidé à ramener le public en salles.
Nancy Aka, directrice marketing et commerciale des cinémas Majestic (Côte d’Ivoire) : La fermeture a été de mars à juillet, durant cinq mois, mais dès le mois de janvier, peu de films étaient disponibles. On a fait des marathons que notre public aime. Avec Jeremy Hadida (Les Films 26), on a travaillé à des avant-premières qui ont bien fonctionné, malgré le fait que Miss est l’histoire d’un garçon qui veut devenir Miss France, donc difficile comme thème à Abidjan ! Tout dernièrement, La Nuit des rois, film ivoirien, sorti le 4 décembre 2020, a fait salle comble à chaque séance. Avec Benjamin Reyntjes (Pathé), on a repris des films anciens qui ont fait vibrer comme Gladiator. On est très dépendants du cinéma américain et on a vu avec la pandémie que des publics qui n’en ont pas l’habitude peuvent s’intéresser à autre chose. Il faut traiter ces films différemment, aller chercher les cibles, pour arriver à davantage de parité.
3) Problématiques de la distribution
Jeremy Hadida, responsable Les Films 26, principal distributeur en Afrique francophone : Les films américains (qui dominent partout dans le monde) ne reviennent que progressivement si bien que le film français s’est inséré dans la brèche. Avec beaucoup de mono-écrans, l’enjeu était de prendre des risques pour exposer ces films et différencier l’offre. La production locale est importante aussi : nous avons un travail commun avec le Majestic et l’Institut français à Abidjan sur Miss par exemple. La pandémie fait qu’on a un accès plus direct aux réalisateurs via des liaisons à distance, ce qui permet de faire l’événement et promouvoir les films.
Benjamin Reyntjes (directeur général Pathé BC Afrique) : Pathé BC Afrique est née dans le contexte difficile de 2020 mais a été murie avant, avec Wassim Béji, producteur ayant contribué à l’ouverture des complexes Pathé en Tunisie, et Jean-François Camilleri, un autre producteur avec qui je travaillais à la distribution des films Disney en Afrique francophone. Nous avions fait le constat avec Jérémy Hadida qu’il manquait une communication adaptée sur les films avant leur sortie. C’est une association production, distribution et exploitation. Il s’agit d’accompagner les salles de cinéma en insistant sur la distribution pure avec des outils utilisés ailleurs, et de parfaire la communication. Pathé BC Afrique, c’est de la distribution mais la production aussi pour faire renaître le cinéma africain qui a existé si fort ici. C’est notre volonté et notre philosophie. Aux côtés des Films 26, Pathé BC Afrique est essentiel est structurant pour le secteur. Il y aura une centaine de films des studios américains à distribuer en 2021 !
Hugues Diaz : Jusqu’à quand allons-nous être sous la dépendance des films américains ? Le cinéma sénégalais a pu assurer sa résilience avec de nombreuses productions et des tournages de coproductions.
Nancy Aka : Depuis deux ans, le REDA (réseau des exploitants et distributeurs africains), qui rassemble 17 écrans (Majestic en a 6), propose aux producteurs locaux de distribuer leurs films. Le problème est que tous les écrans ne sont pas numérisés mais on y travaille sur 2021.
Khalilou Ndiaye : Le public existe et il faut aller le chercher. Il faut des moyens car la communication manque : il faudrait des aides publiques. En fédérant nos énergies et nos espaces, on peut y arriver. Guimbi et d’autres vont se mettre en place. Il y a des ponts à faire entre tous.
Benjamin Reyntjes : Il y a effectivement un travail commun à faire entre exploitants et distributeurs pour trouver une place aux films locaux. Si les exploitants sont partants, on peut accompagner les films avec les investissements inhérents à la distribution. Pour avoir le relais avec les producteurs locaux, Pathé BC Afrique va ouvrir trois bureaux en Afrique francophone : Maroc, Tunisie et Sénégal.
Jeremy Hadida : Les frais d’édition sont aujourd’hui le nerf de la guerre pour faire exister une œuvre. Quand un distributeur s’engage sur un film, il avance des recettes sur les minimums garantis, qu’il faut recouper. Il y a des frais pour que les films atteignent les salles via DCP ou livraison digitalisée qui ont aussi un coût. Les campagnes d’affichage, radio, digitales et tout ce qui sera fait pour animer le réseau de salles ont aussi leur coût. Ces sommes s’additionnent et il y a un nombre de salles à atteindre pour qu’elles se divisent suffisamment. La croissance du parc est une bonne nouvelle.
Séraphine Angoula : CanalOlympia essaye d’avoir un film africain par mois, en priorisant les films dans leur pays. Il est clair qu’un film sénégalais a plus d’impact au Sénégal qu’au Cameroun. On s’est beaucoup investi pour sortir Sankara et moi qui est coproduit par Canal+. Le problème avec les films africains, c’est qu’ils n’ont pas de distributeurs attitrés qui les accompagnent sur tout le parcours, donc pas d’affiches, de bandes annonces adaptées au marché, etc. On se met à faire ce travail qui n’est pas supposé être notre activité : il faut créer sa notoriété de bout en bout. Le Gendarme d’Abobo a très bien marché en Côte d’Ivoire : on l’a programmé sur tout le réseau et c’est le film africain qui a fait le plus d’entrées. Mais cela prend nettement plus de temps que pour Wonderwoman qui a une communication mondiale !
4) débat avec la salle
Question : Des salles décentralisées sont-elles possibles ?
Séraphine Angoula : Tous les acteurs de l’exploitation sont concernés par cette question. Notre problématique actuelle est d’avoir deux écrans de plus pour vous accueillir dans de meilleures conditions mais il faudrait aussi qu’on s’établisse aussi en dehors des capitales, tout à fait.
Khadija Djigo, directrice de CanalOlympia à Dakar : On a cherché en banlieue, aux Parcelles ou à Yoff ou Pikine à trouver un terrain, sans succès.
Question : Nous les jeunes, on préfère les films américains et les séries. Pour qu’on aime les films africains ou français, il faudrait qu’ils soient proches de nous, accessibles.
Séraphine Angoula : Le travail de l’exploitant est aussi de montrer la diversité du cinéma et d’ouvrir l’esprit. Il est clair qu’on continuera à passer les Avengers, mais il y a un travail à faire pour sortir du formatage.
Nancy Aka : Nous sommes partenaires du festival Clap Ivoire, si bien que le court métrage ayant remporté le prix du public sera diffusé en préséance de l’Afrique-film du mois. Claire Diao (Sudu connexion) nous propose Quartiers lointains, compilation de courts qu’on va diffuser.
Question : Le cinéma Medina va-t-il tenir compte du niveau de vie de son quartier populaire ?
Khalilou Ndiaye : On travaille depuis longtemps à la formation des publics sur le plan associatif, notamment avec notre festival Images et vie. Le cinéma Medina sera divisé en deux écrans qui permettront de faire des prix permettant à tout le monde de venir tout en assurant le même niveau de confort que les autres cinémas. C’est aussi une préoccupation du REDA qui prépare une charte sur le sujet.
Question : Peut-on envisager d’insérer un court métrage entre deux longs à CanalOlympia ?
Séraphine Angoula : L’avant-séance dure 20 minutes, on y montre les bandes annonces des films de la semaine et qui vont arriver, et des plages publicitaires qui permettent de payer le loyer. Ce n’est pas la bonne place à donner à un film, entre lumière et mouvement car les gens arrivent souvent en retard. De plus, les courts ne sont pas toujours très courts : cela limiterait à une typologie de courts. Je trouve le projet de Claire Diao intéressant : la compilation prend le même espace qu’un long métrage. On peut penser des rendez-vous récurrents.
Benjamin Reyntjes : Il est important d’avoir accès aux chiffres de fréquentation dans notre métier. Le ministère a-t-il la volonté de les publier ?
Hugues Diaz : Nous avons un bureau des statistiques qui compile les chiffres transmis par les exploitants. Une billetterie électronique est en projet et nous les publierons sur Senscinema.org. Nous devons d’ailleurs transmettre les données à l’Unesco chaque année.